Il est aujourd’hui clairement établi que la maladie du jeu se développe proportionnellement à l’offre de jeu sur un territoire donné. La question se pose cependant quant à savoir si cette offre de jeu est, en tant que telle, l'unique cause de la maladie ou si le jeu est le symptôme d’un problème plus profond venant de la constitution psychique particulière de certains individus dits à risque. C'est ce paradoxe encore non résolu qui explique les différentes formes de traitement actuellement proposées au joueur et la tendance actuelle qui s’oriente de plus en plus vers des traitements prenant en compte ces deux aspects simultanément.
Disons d'abord, qu'en apparence, le joueur n’a rien d’un toxicomane ou d’un alcoolique. En général, il est plutôt du genre bien mis et de tempérament énergique, travailleur et souvent même hyperactif. Sa bonne humeur et sa joie de vivre confondront les personnes les plus éclairées. Ce comportement s’explique, selon le docteur Robert Custer, spécialiste en traitement pour joueurs compulsifs de l’hôpital de Brecksville en Ohio, en ce que le jeu représente la plus pure forme d’accoutumance psychologique. Même lorsque la dépendance tient le joueur dans un étau de fer, le joueur, manipulateur par excellence, paraîtra à ses proches en parfaite santé et comme un être tout à fait normal.
Lorsqu’il gagne, le joueur se sent invincible. Il est le plus fort et il rayonne en distribuant des cadeaux à gauche et à droite. Lorsqu’il perd, il se console rapidement et garde en général un bon moral.
En fait, qu’en est-il exactement de l’état psychologique du joueur compulsif ? Comment expliquer que quelqu’un d’intelligent (plusieurs parmi les joueurs compulsifs sont des professionnels ou des cadres supérieurs) puisse être à ce point hypnotisé par le jeu qu’il en vient à flatter sa machine, à lui parler et à porter des couches lorsqu’il va au casino afin d’espacer ses visites aux toilettes, tout en croyant qu’il demeure encore et malgré tout l’argent perdu, maître du hasard ?
Déjà en 1928, Freud écrivait que le jeu n’est pas un simple vice mais plutôt un symptôme de névrose profonde. En 1958, le psychiatre Edmund Bergler, dans son livre The psychology of Gambling (International Universities Press), va développer plus à fond l’idée que le joueur compulsif est bel et bien un névrosé, comme Freud l’avait pressenti.
Selon Bergler, le joueur compulsif possède le désir inconscient de perdre, même si, consciemment, il estime que le gros lot lui revient à part entière. Carencé affectivement dans sa prime enfance, ce joueur mène un combat pour contraindre le hasard à se montrer bienveillant à son égard. Inconsciemment, il sait cependant qu’il va tout perdre, exactement de la même manière qu’il fut, enfant, toujours perdant affectivement vis-à-vis de ses parents.
Le jeu serait donc, selon ce spécialiste, l’expression d’une forte tendance masochiste : le joueur aime être puni. Jouant, il est en état de révolte et se sent exalté. Lorsqu'il gagne, il voit par là un signe du ciel qu'enfin il sera reconnu à sa juste valeur. Et, lorsqu’il perd, il est malgré tout satisfait car il se voit enfin libéré de sa culpabilité reliée à sa mini révolte. Ce combat absurde fait entrer le joueur dans un état d’hyperactivité maladive. Possédé par le jeu, il jouera aussi bien le jour que la nuit, voulant sans cesse, après avoir été défait, se refaire aussitôt, pour mieux être défait par la suite…
Cette soif insatiable de plaisir-déplaisir coupe le joueur de toute réalité extérieure et l'empêche de penser à cesser de jouer. Le faisant entrer dans une bulle où il actualise ainsi sans cesse son destin, le jeu lui apparaît comme la meilleure façon de refouler efficacement sa carence affective originelle. Dans une telle perspective, l’enjeu qui motive le joueur dépasse de beaucoup le simple enjeu matériel du gain, gain que, de toutes façons, il s’empressera automatiquement de rejouer et cela, le plus vite possible et indéfiniment, c’est-à-dire jusqu’à ce que les lois de la probabilité le rejoignent et le jettent définitivement dans la dèche.
Ceci étant dit, le problème subsiste toujours : tant que la maladie du jeu ne s’est pas manifestée, on ne peut (compte tenu de l’état actuel des recherches) détecter les joueurs qui, ainsi, à cause d’antécédents personnels, auraient une prédisposition plus grande au jeu compulsif. Aussi, le plus sage est sans doute de mettre toutes les chances de notre côté et d'éviter autant que possible de favoriser une offre de jeu trop grande dans la population, notamment celle qui se situe à proximité des lieux de travail et de loisirs comme celle que l'on retrouve encore malheureusement dans les bars et brasseries de la province.
(source : cyberpresse.ca/Pierre Desjardins, philosophe)