LES  TROIS PARADOXES DE LA POLITIQUE DES JEUX FRANCAISE 
Jean-Pierre  G. Martignoni-Hutin (  sociologue)
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Sauf  quand tombe un pactole de 162 millions (Euro Millions), une tirelire à 10 ( Quinté+), que la Française  Des Jeux cherche un joueur étourdi qui a oublié de venir retirer un  gain de 8 millions (Loto) ou qu’un casse vide les caisses d’un casino, les  jeux de hasard font rarement la Une de l’actualité des grands  médias. Il faut dire que ce secteur  sensible – le gambling - n’a rien de stratégique, même s’il pèse d’un poids certain  au niveau économique, fiscal, sociologique. La clause  de revoyure de la loi sur les jeux en  ligne, qui arrive à échéance le 13 novembre, doit être l’occasion  pour le gouvernement de  faire le point sur sa Politique Des Jeux et   doit permettre aux autre acteurs du champ de débattre sur les  multiples enjeux de cette politique, comme le fera la prochaine  livraison de la revue Pouvoirs (1)
Comme  l’ont précisé différents rapports récents (2) -  et notamment  celui du Sénateur François Trucy (3) -  il s’agissait davantage,  par cette législation, de réguler une  activité illégale existante que de libéraliser de manière sauvage la totalité  du marché ludique. C’est désormais chose  faite. Les joueurs  internautes peuvent maintenant - dans la légalité - jouer au poker  en ligne, parier sur les courses hippiques ou de nombreux sports,  tout en étant « presque » certains de ne pas se faire duper sur  des sites mafieux. L’affaire Full  Tilt Poker – une salle de poker en  ligne accusée par la justice Américaine d’être une chaîne de  Ponzi – indique en effet que la surveillance des opérateurs  virtuels ne constitue pas une mesure liberticide, mais  favorise au  contraire le gambling virtuel, tout en défendant les intérêts des joueurs pour éviter  qu’ils ne se fassent pigeonner.
La  modernisation de la Politique Des Jeux de la France, inaugurée par  Nicolas Sarkozy avec les casinos quand il était Ministre de  l’intérieur et qui a abouti à cette fameuse loi du 12 mai 2010,  apparait donc un succès, quoiqu’en disent ses détracteurs.  L’accusation des «  amis du Fouquet’s »  - vs jeux d’argent - a fait long feu. Si certains « amis du  Président » ont « profité » de cette loi dite  « d’ouverture maitrisée à la concurrence », les  deux opérateurs historiques (FDJ et pmu) sont loin d’avoir été  lésés, bien au contraire. C’est  en réalité de manière  certaine ( et le dernier rapport du Ministre du Budget en témoigne  fortement ) (6) un double intérêt  national - public et privé -  et la  volonté de se mettre à jour vis-à-vis des directives  et  injonctions européennes, qui ont prévalu dans les choix  gouvernementaux, après de nombreux arbitrages, un gros travail  parlementaire et sénatorial, ensemble qui souligne que la France  n’est pas une République Des Jeux… bananière.
Néanmoins  pour passer d’une politique d’intérêt  national – qui peut paraître  protectionniste et contradictoire à certains égards – à une politique d’intérêt général,  trois paradoxes devront un jour ou l’autre être levés. Cette  rupture permettra d’aboutir à une Politique des jeux pacifiée  qui, sans oublier son devoir de responsabilité,  soit ambitieuse et n’ait pas peur de son ombre. 
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     Le premier paradoxe c’est celui bien connu d’Etat Croupier.  	Chacun le reconnaît le gambling qui  	traîne une symbolique sulfureuse ancienne liée à son histoire,  	doit être contrôlé, surveillé, réglementé pour éviter toute  	tricherie et de nombreux autres dérives ( blanchiment…). C’est  	ce que fait l’Arjel pour les jeux en ligne, la Police des jeux  	pour les casinos et les courses… Le problème quand l’Etat est  	croupier c’est, d’une part que la réglementation peut être  	perçu comme de l’auto régulation, d’autre part que les règles  	ne sont pas les mêmes pour tout le monde. L’autorité publique  	peut avoir tendance à privilégier l’opérateur dont il est  	l’actionnaire majoritaire.  L’opérateur historique de son coté  	va avoir tendance à faire comme bon  	lui semble. Par ailleurs, plusieurs  	autres volets de la politique des jeux vont avoir du mal à être  	mise en place de manière cohérente et crédible, à cause de cette  	double casquette portée par l’Etat. 
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     C’est le cas par exemple de la politique de jeu responsable qui entraîne un deuxième paradoxe.  	Dans le cadre du projet de loi sur les jeux en ligne, les pouvoirs  	publics ont fortement accentué  leur politique  de jeu responsable  	(information/ prévention, numéro vert, lutte contre le jeu  	excessif, le jeu des mineurs, les interdits de jeu….) Soucieux de  	santé publique, et afin de répondre aux attentes européennes de  	protection des joueurs, ce concept de jeu  	éthique a néanmoins été fortement  	instrumentalisé par certains professionnels de l’addiction - en  	conflits d’intérêts dans cette affaire -  constituant une doxa scientiste fortement contestable et  	fortement contestée par les autres chercheurs en sciences sociales  	( sociologues, économistes, historiens…). Passion ordinaire,  	pratique sociale et culturelle, le jeu est un Fait Social avant  	d’être une maladie. Par ailleurs cette politique de jeu  	responsable apparaît rapidement en contradiction avec la  	libéralisation  partielle des jeux en ligne, nonobstant la  	croissance accrue des jeux en dur opérée par la FDJ et le pmu ces  	dernières années, avec une forte accélération ces derniers mois.  	Ce paradoxe a été souligné avec vigueur par l’autorité de la  	concurrence dans son Avis du 20 janvier 2011, « Ainsi,  	la lutte contre l’addiction au jeu entraîne nécessairement la  	recherche d’une limitation de la consommation, et partant, de  	l’offre de jeux, alors que le droit de la concurrence vise à  	stimuler la concurrence pour améliorer les conditions de vente d’un  	produit ou service et en faciliter l’accès le plus large possible  	au consommateur ».
 
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     Dernier paradoxe celui d’un libéralisme ludique qui – contradictoirement - serait principalement basé sur la  	réglementation et la fiscalité. A cause des deux paradoxes cités  	avant, l’autorité publique et la représentation nationale ont  	crû bon de manière préventive, de fortement réglementer et  	fiscaliser les jeux en ligne. Chacun à rajoutant une couche au  	cours de la navette parlementaire, comme si la classe politique  	voulait se donner bonne conscience,  	comme si l’Etat voulait sécuriser  	sa fiscalité. La critique de la  	réglementation est bien connue, elle n’a jamais été démentie. Trop de réglementation peut tuer la  	réglementation et peut même tuer le  	business, notamment quand il est en  	cours d’installation, comme c’est le cas pour les jeux en ligne.  	Idem en matière de fiscalité. Conscient de cette réalité, et  	face aux résultats financiers  moins bons qu’attendus, les  	responsables du dossier veulent désormais « rendre plus  	attractifs » les jeux en ligne en jouant notamment sur une  	baisse de la fiscalité, mesure revendiquée et soutenue par les  	professionnels du secteur. Ce à quoi Valérie Pégresse, vient de  	répondre que face à un dossier aussi complexe et qui met en cause  	la fiscalité des jeux en dur, la définition du PBJ, il fallait  	mener «  un travail complémentaire approfondie » (4)  	qui vient d’être confié à Jean François Lamour. Au delà de  	son aspect technique très complexe, une question simple doit être  	posée :  dans une économie de marché, l’économie d’un  	marché  - ici le marché ludique sur internet - doit-elle être  	régie par la fiscalité, la réglementation ou en laissant jouer la  	libre concurrence, la loi de l’offre et de la demande. Cette  	problématique de la régulation  	économique, abordée lors du  	colloque organisé par Nicolas About ( sénateur des Yvelines) en  	avril 2010 (5), la classe politique dans son ensemble devra un jour  	y répondre franchement. 
 Il  y a sans doute plusieurs chemins pour  aboutir à une bonne sécurité des jeux en ligne et à une « saine »  fiscalité qui n’entrave pas le commerce du jeu virtuel ou en dur.  Assurément à cause de son orientation et des 49 recommandations  qu’il contient,  le rapport d’évaluation que vient de remettre  la Ministre du Budget au gouvernement (6) va fortement relancer le  débat et faire couler beaucoup d’encre. Souhaitons cependant que  les décideurs politiques en charge du dossier trouvent rapidement  leur chemin de Damas,  pour ne pas que l’aventure ludique des jeux en ligne se transforme  en chemin de Croix liberticide.  L’ensemble des acteurs du secteur devraient aborder de ces  différents registres de manière  sereine, car le succès des jeux  de hasard en ligne, comme celui des jeux d’argent en dur,  dépendra  largement de l’environnement macro  économique. Par ailleurs les  protagonistes du champ concerné ont un intérêt commun. Ils  souhaitent tous  - comme les joueurs qui s’engagent dans l’aventure  ludique - « remplir leur bougette »(7).
 © JP Martignoni , Lyon, France,   octobre 2011, 188. 
 
 Notes
(1)Pouvoirs (revue  française d’études constitutionnelles et politiques),  n°139,  Les jeux d’argent ( à paraître en novembre 2011)
(2) Celui d’Aurélie  FILIPPETTI   et de Jean-François  LAMOUR, celui de l’Afjel (Association Française du jeu en ligne) ,  celui de l’Arjel ( Autorité de régulation des jeux en ligne) 
(3)Rapport  d’information n°17 , Sénat,  12 Octobre 2011, 315 pages
(4) « Taxation  des jeux en ligne : pas de réforme, mais une mission à M.  Lamour «  ( message AFP du 21 octobre 2011
(5)« Quelle  place, quel rôle pour les nouveaux entrants ? « , 2°  assises du jeu de hasard et d’argent, Paris, Palais du Luxembourg,  20 avril 2010.
(6) « Ouverture à la concurrence et  à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en  ligne » (Rapport d’évaluation du Gouvernement , loi  n° 2010-476  du 12 mai 2010, octobre 2011, 71 pages)
(7) Ancien mot de la langue française qui  désignait une bourse ou un coffre ou l’on met  de l’or. Après  avoir voyagé notamment en Angleterre, ce mot nous est revenu sous le  terme Budget.