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 Gambling :  Petite rumination sur le poker (-I- première partie) Si  vous n’aimez pas l’anglais, fuyez braves gens ! vous  n’entrerez jamais dans le monde merveilleusement ésotérique du  poker  Jean-Pierre  	G. Martignoni-Hutin ( sociologue)
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     Si  	vous n’aimez pas l’anglais, fuyez braves gens et perdez espoir  	de pénétrer dans le monde merveilleusement ésotérique du poker,  	renoncez à entrer dans une room.  	Histoire oblige, bien que ce jeu soit sans doute d’origine  	française (1), le « parler poker » est truffé de  	terminologies anglo-saxonnes :  turn, the river, buy in, small blind, all in, dealer, free rool,  	check, slow-roll,under the gun, stack, check raise…  	 Les « Sages » de l’Académie chargés du Dictionnaire  	s’arracheront les cheveux s’ils cherchent un jour à franciser  	la kyrielle de mots anglais qui font vivre sémantiquement le poker  	et sans lesquels ce jeu ne s’aurait exister. Si cette  	« traduction » était un jour effectuée, si ces termes  	qui « sentent bon l’Amérique » disparaissaient à  	cause d’un nationalisme sémantique puritain,  assurément le  	poker y perdrait beaucoup de sa couleur. Le linguiste Claude Hagège  	 risque lui de « s’étrangler » s’il entre un jour  	dans le monde formidablement anglophile du poker. Il vient de lancer  	«  un cri d’alarme «  (2) contre l’anglais qui «   	s’impose comme une langue véhiculaire, au risque d’étouffer la  	pensée »  Les  Etats-Unis le pays du poker 
  
     Certes,  	ce curieux dialecte - véritable argot réservé aux initiés - n’a  	pas grand chose à voir avec la langue de Shakespeare . Si «   	ce jeu de cow-boy » possède un pays c’est plutôt  	l’Amérique, si ce « jeu d’hommes »(3) a une  	mythologie, c’est plutôt celle du western. Depuis des lustres,  	les tables de poker se comptent par centaine dans les casinos resorts de Las-Vegas, cette ville dédiée au jeu qui a encore du panache  	malgré ses bas-fonds. Sin  	city reste l’une  	des capitales du poker en dur, bien qu’elle ne soit plus la  	« Mecque du jeu » depuis qu’elle a été détrônée  	par « l’enfer du jeu » - Macao - et d’autres temples  	asiatiques du gambling,  	par exemple Singapour 
  
     Malgré  	le Black Friday (4) et certains scandales ( « l’affaire Full  	Tilt Poker »)  	les Etats-Unis sont «  le pays du poker ».  	L’anachronisme que représente la prohibition du poker en ligne  	aux USA ne saurait perdurer (5). Le lobbying mené par certains  	« barons » de Vegas au Sénat américain contre le poker  	en ligne parait - à terme - voué à l’échec. Quand le poker  	fait recette dans les casinos, il ne peut que triompher sur la toile  	et réciproquement. En France, le succès du poker qui caracole en  	tête des jeux d’argent online depuis la loi de mai 2010, a  fortement favorisé le poker en live dans les casinos & cercles. Ludiquement et sans doute  	sociologiquement et culturellement la synergie est forte, malgré la  	traditionnelle rivalité live/online mise en avant par certains  	joueurs.  Un call  spéculatif préflop ! 
  
     La  	connotation anglo-saxonne du «  langage poker »  	caractérise culturellement ce jeu. Comme le nombre de termes  	techniques est également conséquent, la prose qu’on peut lire  	dans les magazines spécialisés (  	Live Poker : le magazine leader, Poker magazine  Card  	Players France : les cahiers techniques, Poker magazine :  	la référence…)  	ou sur les sites dédiés, apparaît comme un véritable charabia  	pour le « cave » néophyte. Citons trois fleurons pris  	au hasard : 
  
     « Imaginons  	que nous soyons en position de grosse blind avec un 6 en main. Nous suivons au turn car nous savons que notre adversaire est capable de bluffer. Puis  	une « doublette » tombe à la « rivière ».  	Nous avons un plan le check  	raise. Nous checkons donc. Le « Vilain » mise »
     « Le  	coup est joué de manière assez standard préflop. Adrien contre qui j’ai joué au « 6-Max » du  	« Partouche poker tour », est un joueur hyper agressif  	qui affectionne le format Short  	Handed. De petite blinde il  	décide de 3-bet le chipleader après « sa  	relance au bouton » avec un très bon sizing »
     « Sans  	relancer, comment faire fructifier un call spéculatif préflop ? » 
  
     « Un  	call spéculatif préflop ! » comme dirait le  	comique  Gad Elmaleh : « de quoi ça cause, c’est une  	ordonnance ? » Il n’est pas impossible que les aficionados du poker ( et notamment les journalistes chargés d’en parler dans  	les revues spécialisées) accentuent à dessein cette sémantique  	anglo-saxonne qui, comme pour le « parler informatique »,  	participe grandement à l’aspect ésotérique du poker tout en lui  	donnant un coté branché,  	fun. Nous ne  	sommes  pas loin d’une forme de snobisme qui caractérise les  	pratiques langagières des classes sociales supérieures, même si  	les catégories populaires sont loin  d’être exclues de ce   	« jeu démocratique ».  L’idiome  poker 
  
     Soyons  	honnête, cette contamination linguistique qui  violente la langue  	de Molière irrite, mais dans le même temps attire. Il y a pour  	nous français une séduction chatoyante des mots anglo-saxons, des  	mots souvent courts qui sonnent bien : flop,  	tilt, good run….  	Attirance accentuée par le fait que ces termes émergent  	immédiatement «  en anglais dans le texte ». Mélange  	séduisant déjà expérimenté dans les ouvrages américains  	traduits en français (6) ou dans les livres de chercheurs (7) ou  	d’écrivains  français qui nous parlent de l’Amérique. Malgré  	les bouleversements de la hiérarchie économico-culturelle  	mondiale, et bien que certains s’interrogent sur « le  	Chinois futur langue mondiale ? » (8) ,  « nous  	sommes tous un peu américains «  dans le domaine  	linguistique et profondément imprégnés de la culture de l’Oncle  	Sam et de sa langue. En ce qui concerne le poker,  on a envie de  	répéter ces mots, de se les approprier. L’omniprésence de  	l’anglais dans « l’idiome poker »  participe  	fortement de son succès. 
  
     Cette  	intrusion linguistique étrangère – souvent très imagée et  	performative – séduit de nouveau quand nous en connaissons la  	traduction. «  Mais évidemment bien sur, quelle efficacité  	ces américains, quel pragmatisme »  Même Claude  Hagège qui  	vient comme nous l’avons vu de mener une attaque sévère contre  	la structure même de l’anglais qui (sic) «  favoriserait la  	religion de l’argent «  reconnaît par ailleurs «  que  	cette langue fait prévaloir le concret  et son observation  	détaillée »  « Le  poker s’apprend en quelques minutes mais il faut une vie pour le  maitriser » (Franck Daninos, rédacteur en chef de Cardplayer) 
  
     Le langage  	poker apparaît en réalité comme une belle antinomie, riche mais  	primaire. Ambivalence qui semble aussi caractériser le jeu lui même  	qui connaît un succès considérable, notamment depuis qu’il a  	été autorisé dans les casinos et sur internet, nonobstant son  	omniprésence télévisuelle. Les raisons du phénomène poker sont  	nombreuses mais nous pensons à un premier niveau que si le poker  	était uniquement un jeu intellectuel, technique, stratégique -   	réservé aux initiés  « mentalistes et probabilistes »   	- il n’aurait jamais connu un tel succès. 
  
     Son coté  	binaire - simple voire simpliste - attire. Si le calcul rationnel  	semble exister, si la probabilité  statistique de gagner ou de  	perdre avec la « main » qu’on obtient au départ  	semble incontestable (cette probabilité apparait immédiatement  	sous la forme d’un pourcentage dans les émissions consacrées au  	poker à la télévision), le hasard  - et sa figure populaire la  	chance - sont omniprésentes au poker. Le « mix ludique »  	obtenu est anachronique, à l’image de la sociologie des joueurs  	de poker qui reste à établir mais semble montrer « un  	rassemblement de milieux sociaux très hétérogène réunis dans  	une passion commune ». Une sorte de « cour des miracles  	sociologique » très étonnante.  
  
     Même  	si ça choque la morale publique, le poker semble avoir des vertus  	démocratiques, sociologiquement mais aussi ludiquement, comme le  	confirme les résultats des nombreux tournois nationaux et  	internationaux en dur ou en ligne, comme le confirme également  	l’évolution du classement des meilleurs joueurs. Au poker le  	Fou peut devenir Roi et réciproquement. Un joueur amateur totalement inconnu peut en  	quelques mois émerger et se faire un nom. A contrario un chipleader cumulera une  	série de bad runs et « finira au tapis » après avoir fait justement …all  	in. ( à suivre)  « On  dit que le poker s’apprend en quelques minutes mais qu’il faut  une vie pour le maitriser. Cet adage exprime on ne peut mieux la  réalité du poker. D’apparence très simple, ce jeu reste d’une  complexité insondable pour ses plus fins connaisseurs « (9)
  ©  JP Martignoni , Lyon, France,  avril 2012, 205.doc, – I -  (  première partie)  Notes  
 
  
     Le  	nom viendrait d’un ancien jeu de cartes dénommé « poque ».  	Confer Franck Daninos , Histoire du poker , le dernier avatar du  	rêve américain ( édit Tallandier, 2011) confer également :  	«  D’ou vient le mot poker ? «  (Poker  	magazine  Card Players France : les cahiers techniques  	décembre 2011, n° 64,  82-83)
     Claude Hagège  	, « Contre la pensée unique »  (Odile Jacob, 2012)  	lire également la critique de Jean Marc Vittori sur cet ouvrage :  	«  Eloge de la linguidiversité «  ( Les Echos du  	12/1/2012)
     Poker  	et genre : De nombreuses éléments empiriques ( enquête de  	terrain, observation naturaliste, statistiques disponibles, veille  	documentaire des publications ou émissions spécialisées..)  nous  	invitent à penser que le poker ( en dur et en ligne) est un  	phénomène très majoritairement masculin pas seulement en France.  	Des études anglaises infirmeraient cette hypothèse pourtant forte.  	Notamment une recherche réalisée par Hitwise pour  	Belle Rock en 2011 qui indiquerait que 43% des joueurs en ligne sont  	des femmes, un sondage réalisé par Lioyd  	D. Levenson rattaché à l’Université de Stockon sur  	3OOO personnes qui montrerait un engouement croissant de la gente  	féminine pour le poker aussi bien dans les cercles que dans les  	casinos en ligne (confer : « Les femmes aiment le poker  	en ligne », machines-a-sous.com du 13 avril 2012). Reste à  	avoir si ces études , par exemple celle commanditée par belle  	rock entertainment casino games, sont scientifiques.
     JP  	Martignoni : « Le pays  	du poker vient  	d’effectuer une opération liberticide spectaculaire contre…le  	poker en ligne » ( publié notamment sur lescasinos.org du 22  	avril 2011). Confer également : David Poulenard, «  Le  	Black Friday, un an déjà état des lieux ! »  	(madeinpoker.com, les coulisses du poker, 14 avril 12012)
     « Etats-Unis :  	la régulation du poker en ligne est en marche » Chad  	Holloway, Brett Collson ( pokernews France, 15 mars 2012)
     Par  	exemple dans le percutant mais très engagé ouvrage de Mike Davis :  	«  City  	of quartz :  	Los Angeles capitale du futur » ( La découverte, 1997)
     Par exemple  	dans le remarquable ouvrage de Cynthia Ghorra Gobin consacré à  	L.A. : «  Los Angeles : le mythe américain  	inachevé » ( CNRS éditions, 1997)
     David  	Bénazéraf, « Le chinois future langue mondiale ? »  	,  sciences humaines mars 2012, n° 235, 18-21)
     Franck  	Daninos ( rédacteur en chef de Cardplayer) :  	« Guerre psychologique », Edito de Cardplayer n°18,  	février mars 2012,5)
 
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