Les casinos sont-ils en crise ?
Les casinos en France semblent être sur la mauvaise pente depuis 2007 : en effet, après des années florissantes, la tendance s’est inversée et le produit brut des jeux (PBJ ou chiffre d’affaires brut, c’est-à-dire les sommes gagnées par le casino ou perdues par les joueurs) a régulièrement diminué pour passer de 2,8 milliards d’euros en 2007 à 2,3 milliards en 2012 .
La crise financière, le renforcement des contrôles d’identité à l’entrée des casinos depuis le 1er novembre 2006, l’interdiction de fumer dans les casinos applicable depuis le 1er janvier 2008 ont réduit la fréquentation des casinos.
Ainsi les mises des joueurs dans les casinos ont baissé depuis 2007 pour passer de 19,9 milliards d’euros à 15,1 milliards en 2012 . En forte hausse entre 2000 et 2007 du fait de l’expansion du parc de machines à sous et de l’ouverture de nouvelles structures, les montants misés dans les casinos ont ainsi sévèrement décroché depuis la crise.
En raison de ces difficultés, le nombre de casinos a faiblement évolué ces dernières années, passant de 180 à 194 entre 2003 et 2007 , puis restant relativement stable.
Peut-on attribuer la baisse d’activité des casinos à la crise économique ?
Il s’agit là d’une idée bien souvent mise en avant face aux difficultés rencontrées par les casinos. Cependant, malgré un environnement économique et social pesant, les Français ont continué de plébisciter les jeux, attirés par la perspective du gain dans un contexte de vives pressions sur leur pouvoir d’achat. Ainsi, les mises des joueurs français dans les jeux de hasard et d’argent ont continué de progresser de 2007 à 2012 pour passer de 38,1 milliards d’euros à 47,1 milliards . Les mises jouées auprès des monopoles d’Etat sont passées de 18,2 milliards d’euros en 2007 à 22,6 milliards en 2012 . Face à cette tendance, il apparait donc que les casinos ont été de moins en moins attractifs.
La concurrence des jeux en ligne a été grandissante, passant de 0,7 milliard d’euros en 2009 à 9,4 milliards en 2012 selon l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). Il apparaît donc que les casinos n’attirent pas les Français comme les autres jeux de hasard et d’argent.
Si les casinos subissent l’aléa conjoncturel, à l’inverse des autres acteurs des jeux d’argent et de hasard, c’est notamment parce qu’ils sont souvent implantés en zones touristiques et balnéaires. En effet, l’implantation des casinos en France est hétérogène en raison de la superposition historique des réglementations des jeux dans les casinos. Historiquement, seules les stations balnéaires, thermales ou climatiques pouvaient accueillir un casino (Loi de 1907). Depuis 1988, la législation a étendu la possibilité d'ouvrir un casino aux agglomérations touristiques de plus de 500 000 habitants. Les casinos ne semblant pas attirer une clientèle au-delà d’une zone de chalandise restreinte, ils subissent ainsi les modifications des changements de comportements touristiques des Français.
La faute en incombe aussi à une réglementation très lourde par rapport à leurs concurrents. En effet, la profession des casinotiers dénonce une lenteur administrative très contraignante pour pouvoir exploiter de nouveaux jeux. Par exemple, l’autorisation du jeu de la bataille dans les établissements de jeux d’argent le 11 mai 2013 était attendue depuis l’été précédent. Pour lancer de nouvelles machines à sous, il faut compter presque un an de démarches. Un casino ne peut pas exploiter uniquement des machines à sous : il est tenu, par les dispositions de la réglementation des jeux, d’offrir à sa clientèle un ou plusieurs jeux de table. Le nombre de machines à sous est ainsi lié au nombre de tables de jeux : pour la première table de jeux installée, 50 machines à sous sont autorisées et 25 autres pour chacune des tables suivantes. Les patrons des établissements de jeux ont néanmoins obtenu depuis le 22 février 2013 un aménagement des horaires, permettant d'exploiter leurs machines à sous après la fermeture des tables de jeux, ce qui était interdit jusqu’alors. Alors que les jeux de table sont souvent déficitaires, un casino qui sollicite une autorisation de jeux (ou son renouvellement) doit ainsi obligatoirement créer (ou conserver) des salles de jeux de table.
Après l’âge d’or, un retour à la réalité ?
Pendant plus de dix ans, après la libéralisation en 1987 des machines à sous, la croissance du produit brut des jeux des casinos a suivi un rythme effréné de plus de 10 % par an. Puis l'augmentation est devenue beaucoup plus mesurée (entre 1,3% et 3,7% entre 2003 et 2007) et la tendance s’est ensuite inversée.
Si les casinos se montrent moins attractifs, cela signifie-t-il qu’ils ne sont pas rentables ?
Face aux difficultés rencontrées par les casinos, des allègements fiscaux ont permis d'améliorer le produit net des jeux, qui correspond à la somme acquise aux casinos après les prélèvements obligatoires.
Ainsi, en raison de la baisse de la fréquentation et donc du produit brut des jeux, la rentabilité des casinos a diminué mais ces assouplissements fiscaux ont permis de soutenir la rentabilité des casinos qui reste malgré tout favorable pour la majorité. En, effet, pour les 40 premières entreprises du secteur, le taux de résultat net se situe entre 0% et +35% du produit net des jeux pour 33 d’entre elles. Seules 7 ont un résultat net négatif .
Les casinos : machines à blanchir ?
Les casinos souffrent d’une image dégradée qui nuit à leur développement, les élus craignant de dévaloriser l’image de la commune dont ils ont la responsabilité en y autorisant l’installation d’établissements de jeux. En effet, pour beaucoup, casino rime avec pratiques illicites, immoralité et gains faramineux aux dépens de l’économie réelle.
Le blanchiment d'argent dans les casinos a probablement existé par le passé. Mais n’oublions pas cependant de changer d’époque ! Aujourd’hui, la profession de casinotier est l’une des plus contrôlées en France, si ce n’est la plus contrôlée.
Alors que plus de 90% du produit brut des jeux des casinos est issu des machines à sous, il est difficile d’imaginer de grands criminels ou des réseaux terroristes blanchir de l'argent avec des pièces de quelques centimes…
Même si ces derniers se montraient extrêmement patients, l’exploitation des casinos, soumise à autorisation, a la particularité d'être fortement réglementée et contrôlée par les pouvoirs publics : des mesures de surveillance extrêmement fortes limitent ainsi considérablement les risques de fraude et de blanchiment. Tous les mouvements de change et les gains supérieurs à 2 000 euros sont enregistrés et consignés sur un registre, avec l'identité du joueur, et tenus à la disposition des ministères de tutelle (ministère de l'Intérieur et ministère des Finances). Même les banques et les établissements financiers ne sont tenus à une obligation aussi stricte, puisque qu’ils ne le sont qu'à partir de 7 500 euros.
Les casinos ne sont accessibles qu'après un contrôle d’identité aux entrées : le joueur ne doit pas figurer sur la liste des interdits de jeux. De plus, ces établissements sont astreints à une « déclaration de soupçon de blanchiment d'argent ». Ces déclarations sont collectées par TRACFIN (service du ministère des Finances) puis répercutées vers les procureurs, la police judiciaire et les douanes. La surveillance du jeu est assurée par la direction du casino, qui organise de multiples contrôles opérés par les membres du personnel en salle et complétés par la vidéosurveillance. La surveillance des casinos est également assurée par la Police nationale (Division de la surveillance générale des casinos et des cercles). Elle assure une présence permanente dans les casinos, au minimum une fois par semaine de jour ou de nuit, sur rendez-vous ou de manière impromptue. Sont également vérifiés cartes, jetons, plaques, les carnets d'avance des tables de jeux, etc. De même, les fonctionnaires des Finances ont libre accès au casino : ils contrôlent la comptabilité et les déclarations faites par le directeur du casino relativement au produit des jeux. Les circuits de vidéosurveillance et les programmes informatiques des machines à sous sont également étroitement analysés et contrôlés. Les techniciens qui y ont accès sont agréés (comme les entreprises extérieures auxquelles ils appartiennent) et sont les seuls autorisés à les manipuler. Le fonctionnement des tables des jeux traditionnels réclame, conformément à la réglementation des jeux en France, un personnel nombreux et expérimenté. Leur recrutement n'est autorisé qu'après enquête du ministère de l'Intérieur et une habilitation individuelle.
Du fait de cette réglementation très stricte, les casinos développent des procédures de contrôle interne très fortes. Cette tendance est renforcée par la structure des acteurs du secteur majoritairement composée de grands groupes : 4 groupes de casinos (Groupe Lucien Barrière, Partouche, Tranchant et Joa Groupe) représentent 76 % du produit brut des jeux, 9 groupes de dimension plus modestes, 13 % et une trentaine d'indépendants, 11 % . Plusieurs groupes de casinos sont également cotés en Bourse.
Qui sont les gagnants du jackpot ?
Une idée commune est que le seul gagnant du casino est le casino lui-même. Outre les chanceux, n’oublions pas que les casinos constituent une ressource financière importante pour l’Etat et les communes d’implantation, au travers des prélèvements représentant en moyenne près de 55% du produit brut des jeux, soit un prélèvement de plus de la moitié du chiffre d’affaires brut, représentant un montant de recettes fiscales de près de 1,2 milliard d’euros par an pour l’Etat et les communes. Les casinos sont par exemple très souvent les premiers contribuables de leur commune d'accueil.
Après avoir acquitté l'ensemble de ces prélèvements, les casinos supportent encore, comme toute entreprise de droit privé, l'impôt sur les sociétés, les taxes immobilières et professionnelles, les taxes sur les salaires. Cela fait certainement du secteur des jeux l’un des secteurs d’activité les plus taxés de France.
Les casinos sont également des acteurs importants d’animation et de développement économique. Un casino est « un établissement comportant trois activités distinctes : le spectacle, la restauration et le jeu sous une même direction sans qu'aucune d'elles puisse être affermée » (article 1 de l’arrêté du 14 mai 2007 réglementant les jeux dans les casinos). Le casino constitue ainsi un pôle d’activités, d’attractivité et de promotion d’une collectivité.
Par ailleurs, les investissements parfois très importants qu'ils réalisent jouent un rôle économique notable. Un casino peut participer au financement des travaux d'embellissement de ses abords, par l’intermédiaire des « prélèvements à employer », dispositif spécifique consistant à constituer une réserve destinée à des investissements.
Les casinos participent financièrement à une multitude de spectacles et d'animation répondant aux attentes variées d'un large public régional. De nombreux établissements installés dans des stations de tourisme réputées financent des événements majeurs pour leur région (manifestations artistiques de qualité), tels que le Festival du film américain de Deauville, les Francofolies de la Rochelle, le Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence, le Festival de musique classique à Evian... Ces dispositions font l’objet d’une inscription au cahier des charges suivant un accord (et donc une négociation) entre la commune et l’exploitant. Pour exemple, les montants versés au titre des manifestations artistiques de qualité s’élèvent à 1 million d’euros en moyenne sur les trois dernières années pour le Casino d’Aix-en-Provence ; la contribution fixe au développement touristique de la ville et à l’effort artistique et culturel s’élève à 1,5 million d’euros pour l’exercice 2012 pour le Casino Théâtre de Toulouse et à 3,5 millions d’euros pour les Casinos Les Princes et Cap Croisette à Cannes.
En termes d’emplois, les entreprises de casinos emploient près de 15 500 personnes en France (moins de 10 000 pour les jeux et plus de 6 000 pour les autres activités hors jeux ).
Quelles perspectives pour les casinos en France ?
L’un des principaux freins au développement des casinos français est l’image anti-éthique qu’ils véhiculent. Au-delà de l’image dépassée des casinos blanchisseurs, ils sont pour beaucoup considérés comme des acteurs non éthiques, particulièrement en situation de crise, et sont associés à une représentation du grand luxe. Le fait est qu’avant l’apparition des machines à sous, les tables des jeux traditionnels étaient le moteur des casinos. Cependant, au fil du temps, ces jeux ont connu une vraie désaffection et ont vu, en particulier, disparaître une certaine clientèle huppée ou très fortunée. Les machines à sous ont alors sauvé les casinos : elles représentent aujourd’hui la majeure partie de leurs revenus (plus de 90%) et la structure de clientèle en est totalement métamorphosée.
La répartition socioprofessionnelle des joueurs français se compose ainsi en majeure partie de clients disposant de ressources financières modestes : employés (20%), ouvriers et ouvriers qualifiés (14%), retraités (13%), chômeurs (10%), étudiants (9%). Les professions intermédiaires représentent 12% de la clientèle des casinos français , de même pour les cadres supérieurs et professions libérales. Dans une période économique morose, la progression des mises des joueurs français dans les jeux de hasard et d’argent témoigne des besoins de distraction ou d’espoir de gains pécuniaires qui stimulent la demande en jeux d’argent.
Dans ce contexte, les casinos de jeux sont largement engagés dans la lutte contre les risques d’addiction. Les aménagements de la réglementation en 2007 et 2009 sont venus renforcer les mesures de prévention de l’abus de jeux : le contrôle aux entrées a été généralisé à toutes les salles ; de plus, les casinos ont une responsabilité en matière de formation et d’affichage d’informations à l'intention des clients sur les risques d'abus de jeu et sur les dispositions légales permettant à toute personne de solliciter volontairement son exclusion des salles de jeux. Tous les jeux d’argent et de hasard ne sont pas soumis à ces règles.
Un autre frein générant un manque d’attractivité des casinos est sans doute la lourdeur administrative actuelle, alors que les casinos sont confrontés au dynamisme de l’offre des paris sportifs ainsi que des jeux de grattage et de tirage (faible mise et gains potentiels très élevés). Dans ce contexte, il est par exemple impossible pour les casinos de proposer dans un délai raisonnable une offre de jeux ou de machines à sous innovantes et modernes, comme celle que l’on peut rencontrer à Las Vegas ou à Monaco. En effet, le réalisme économique nécessite une prise en compte plus rapide et plus complète des avancées technologiques. Dans le domaine des jeux, comme ailleurs, les nouvelles technologies provoquent des évolutions considérables dans les matériels et les techniques. Les opérateurs des casinos sont contraints, pour satisfaire leur clientèle, d'avoir recours à des machines de plus en plus sophistiquées (et de plus en plus coûteuses), adaptées aux phénomènes de mode. Le produit des casinos en France a vieilli, alors que la croissance de la demande, sur le marché des jeux, repose avant tout sur l'innovation produit et la communication. La concurrence des autres offres, notamment celle des monopoles d’Etat et des jeux en ligne, se fait de plus en plus pressante. Des modernisations sont indispensables et les exigences des maires sont souvent croissantes. Les casinos doivent donc renouveler l'offre (nouveaux produits, nouveaux concepts de complexes de loisirs intégrés...) et rechercher de nouveaux relais de croissance. Sans pour autant adopter un encadrement aussi libéral que dans d’autres pays d’Europe ou du monde, cela nécessiterait néanmoins une adaptation du cadre juridique actuel des jeux.
(source : businessimmo.com/Hugues Desgranges et Romain Dobric)