Article de Propos recueillis par Nathan Tacchi
Le marché illégal des casinos en ligne aurait le vent en poupe. C'est ce qui ressort d'une étude du cabinet PwC pour le compte de l'association française des jeux en ligne (Afjel), qui réunit les acteurs agréés du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, dont les géants Betclic, Winamax ou le PMU, publiée ce mardi 4 novembre dans Le Parisien. Ainsi, le cabinet estime dans ses conclusions que 5,4 millions de Français auraient fréquenté au moins une fois en 2025 ces casinos virtuels illicites, soit une hausse de 35 % en deux ans.
De plus, dans cet article, Nicolas Béraud, président de l'association française des jeux en ligne (Afjel), qui n'est autre que le PDG de Betclic, déclare : « Cette explosion de 35 % en deux ans est liée à une difficulté croissante à bloquer ces casinos en raison d'un réveil tardif face à des sites ou des applications aisément accessibles sur Internet et dans les magasins d'applications. »
Pour mieux appréhender le sujet, Le Point a interrogé Jérôme Labarbe, coordinateur de la lutte contre l'offre illégale à l'Autorité nationale des jeux, l'autorité administrative indépendante qui régule le marché des paris sportifs et des casinos.
Le Point : Dans une enquête publiée ce mardi 4 novembre, l'association française des jeux en ligne (Afjel) avance le chiffre de 5,4 millions de joueurs en 2025 sur des casinos en ligne illicites, soit une hausse de 35 % en deux ans. Que pensez-vous de ces données ? Correspondent-elles à celles dont dispose l'ANJ ?
Jérôme Labarbe : Concernant ce chiffre de 5,4 millions de joueurs, je ne peux le commenter sans disposer de davantage d'informations et de l'entièreté de l'étude que vous évoquez. Néanmoins, nous sommes évidemment conscients de l'ampleur du phénomène. Nous avions mené une étude similaire en 2023 et, au quotidien, nous constatons que cette offre de jeu illégale existe bel et bien et qu'elle s'est solidement implantée sur le marché. Sur ce point, nous sommes d'accord.
Notre mission en tant que régulateur consiste à rechercher constamment de nouveaux leviers pour contrer ces sites qui font preuve d'une grande créativité. Nous mobilisons les outils que nous offrent les textes législatifs et développons d'autres méthodologies pour lutter efficacement contre ces plateformes.
Y parvenez-vous ?
Nous obtenons de très bons résultats. En 2024, par exemple, nous avons bloqué plus de 1 300 sites grâce à 232 ordres de blocage et de déréférencement. Nous avons également activé une autre procédure administrative : le blocage des flux financiers à destination ou en provenance de ces sites illégaux. Par ailleurs, nous avons mis en place toute une série de protocoles de signalements simplifiés avec les réseaux sociaux, ce qui nous permet d'être très réactifs. Nous avons également renforcé notre coopération avec la justice en signalant directement au parquet de Paris les opérateurs illicites les plus importants sur le marché, comme en témoigne l'affaire Crésus.
Pour demeurer efficaces dans cette lutte, nous cherchons continuellement de nouveaux leviers. Actuellement, nous travaillons avec le secteur bancaire pour intervenir encore plus en amont sur les flux financiers.
Il est certain que les joueurs ne savent pas toujours qu'ils se trouvent sur un site illégal.
Malgré tous ces efforts, les chiffres laissent penser que le phénomène continue de croître. Comment l'expliquez-vous ? Ces sites redoublent-ils d'ingéniosité ?
Il faut garder à l'esprit que le marché de l'offre légale est lui-même en augmentation. Il n'est donc pas totalement incohérent d'observer cette hausse également sur l'offre illégale, même si je reste prudent concernant ces chiffres que vous avancez, puisque je ne dispose pas du dossier complet. Les sites illégaux demeurent effectivement présents sur le territoire, mais nous menons des actions de plus en plus poussées qui nous permettent d'être de plus en plus efficaces dans cette lutte.
Dans cette étude de l'Afjel, on apprend que 82 % des joueurs sondés ignoraient que le casino en ligne constituait une pratique hors la loi. Quelles actions de prévention envisagez-vous ?
Concernant ce chiffre de 82 %, je ne peux garantir son exactitude. Toutefois, dans notre propre étude menée en 2023, nous avions déjà relevé un taux de 50 %. Qu'il s'agisse de 50 ou de 82 %, il est certain que les joueurs ne savent pas toujours qu'ils se trouvent sur un site illégal. Nous le constatons également à travers les signalements de joueurs qui se tournent vers l'Autorité en pensant que nous pouvons intervenir en leur faveur, avant de découvrir qu'ils évoluaient sur des sites illégaux dont ils ignoraient totalement la nature.
Il est donc nécessaire de poursuivre les campagnes de sensibilisation pour mieux faire connaître aux joueurs l'existence de ces sites illégaux. Évidemment, ces campagnes publicitaires représentent un coût important. Nous en avons lancé une l'année dernière et nous prévoyons d'en relancer une l'année prochaine, si le budget le permet, en mettant l'accent sur les casinos en ligne, qui constituent les sites illégaux les plus nombreux sur le marché.
Quels sont les risques concrets pour les consommateurs qui jouent sur ces plateformes ?
Ils sont nombreux. Tout d'abord, des mineurs peuvent accéder à ces sites, car la plupart ne demandent pas de vérification d'identité. Ensuite, tous les phénomènes d'addiction ne sont pas contrôlés : un joueur dépendant peut dépenser des sommes considérables sans que le site ne limite son activité malgré son addiction.
Le corollaire en est une perte importante d'argent. Parfois, les sites illégaux ne reversent pas les gains remportés par les joueurs, ce qui représente une perte sèche, du 100 % perdant dans certains cas. Les joueurs n'ont aucun recours judiciaire possible, puisque ces sites ne sont pas agréés par nos soins et sont généralement situés à l'étranger.
On recense également des cas de vol de données personnelles, d'installation de programmes malveillants ? on retrouve toutes les fraudes classiques liées aux sites Internet. Il peut aussi y avoir des problèmes liés aux cartes bancaires : lorsque le joueur saisit son numéro de carte sur le site, celui-ci peut être utilisé de manière frauduleuse pour prélever des fonds supplémentaires.
Il n'existe aucun filet de sécurité. D'où l'importance de notre lutte : le joueur n'est absolument pas protégé face à ces sites illégaux. Par ailleurs, nous avons également la volonté de protéger le marché agréé afin d'éviter toute distorsion de concurrence.
Comment un consommateur peut-il reconnaître rapidement qu'un site n'est pas agréé ?
C'est effectivement l'une des difficultés, car certains sites illégaux de paris sportifs ressemblent à s'y méprendre à un site d'opérateur légal classique. La différence réside dans le fait que, normalement, sur les sites des opérateurs légaux, le numéro d'agrément et le logo de l'ANJ apparaissent. Mais ces éléments sont très facilement falsifiables, ce qui n'en fait pas un gage absolu de légalité. Le seul moyen de s'assurer que l'on se trouve sur un site légal consiste à consulter la liste des opérateurs agréés sur le site de l'ANJ.
Mais pour les casinos en ligne, la question ne se pose même pas : par définition, les casinos en ligne sont interdits en France. Il n'existe que des casinos terrestres physiques.
Pour finir, êtes-vous optimiste ? Pensez-vous disposer de bons leviers d'action pour continuer à endiguer ce marché illicite ?
Je suis très optimiste. Je coordonne la lutte contre l'offre illégale depuis quelques mois et nous parvenons à identifier de nouveaux leviers. Nous surveillons ce marché illégal de près, nous sommes très attentifs à leur créativité et très présents. On peut toujours estimer qu'il faudrait davantage de moyens, mais nous obtenons des résultats. Je suis donc plutôt optimiste quant à notre lutte contre l'offre illégale.
Cela étant, il faut aussi être réaliste : ces sites sont présents sur le marché et, comme vous l'avez évoqué, ils font preuve d'une grande créativité et d'un grand dynamisme. Mais j'insiste sur ce point : nous disposons au sein de l'ANJ d'une équipe dédiée à cette lutte, véritablement consacrée à cette mission.
Combien de personnes composent cette équipe ?
Nous sommes quatre : trois enquêteurs et un coordinateur.
(source : msn.com/Le Point)