Ils menacent de faire grève le 31 décembre. Réunion de la dernière chance demain.
Les flambeurs seront-ils accueillis par des piquets de grève, au soir du réveillon, à l'entrée de leurs casinos favoris ? Pour la première fois, les organisations syndicales (CGT, FO, CFDT, CGC et CFTC) appellent en choeur à la grève les 17 000 salariés des casinos, le 31 décembre. Augmentation de salaires, prévoyance, pénibilité du travail, horaires nocturnes : pour les syndicats, rien ne va plus. «Le secteur est en ébullition, assure Pierre Durat, syndicaliste (CFE-CGC) au casino d'Enghien-les-Bains (Val-d'Oise). Toutes les choses non réglées s'accumulent et, à un moment, on arrive à un climat social délétère.» Les casinotiers aimeraient y voir un vilain coup de bluff, opportunément brandi alors que les négociations entre syndicats et organisations patronales font rage. Mais l'argument pourrait se révéler convaincant. «Ce qui compte, c'est de les taper au portefeuille, lance un syndicaliste. Le 31, ils font entre 30 et 50 % de leur chiffre d'affaires du mois. Ils vont perdre des millions...»
C'est un peu le dessous des cartes de l'empire du jeu. «Le grand public n'a pas idée de la condition des salariés, estime David Rousset (FO). Pour lui, c'est encore le croupier monégasque qui gagne des mille et des cents en pourboires. 0r, la majorité des 17 000 employés, ce sont des ouvriers spécialisés, avec le Smic ou un petit peu plus.»
C'est l'arrivée des bandits manchots, autorisée en 1988 par Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, qui a changé la donne, relançant un secteur alors au bord du gouffre. Il y a moins de dix ans, 85 % des casinos appartenaient à des sociétés familiales ou des indépendants. Désormais, deux groupes règnent sur les deux tiers du marché : Partouche et Accor-Barrière (1). A coup de mégacomplexes, usines à jeu avec restaurants, salles d'exposition et de spectacle, machines à sous (MAS) par centaines.
Robotisation, fusions-acquisitions, concentration et, depuis peu, arrivée des fonds de pension américains : «Aujourd'hui, le casino est une industrie comme les autres», explique Enrique Cuevas (CFDT). Les casinotiers ont tout misé sur les MAS, bien plus rentables et moins imprévisibles que les «jeux traditionnels». Elles constituent désormais 92 % du produit brut des jeux...
Les croupiers, chefs de table et chefs de partie, c'est-à-dire les employés des jeux traditionnels (roulette française, black-jack, boule, stud poker ou craps) ne sont plus que 3 000. La majorité des salariés exercent aux machines à sous ou dans les hôtels et restaurants. Si les croupiers ne sont pas à plaindre en terme de salaire, ceux-là, en revanche, sont souvent jeunes, mal payés, précaires, avec un turn-over très important. «Un peu comme au McDo», estime Pierre Durat. Et pas forcément enclins à faire grève. Un employé des services techniques du casino d'Enghien : «Les gens des machines à sous ne sont pas chauds pour aller au casse-pipe. Ici, les têtes changent comme dans un métro.»
Au-delà de la grève, les casinos ne semblent pas être un lieu particulièrement propice à la lutte des classes. En témoigne cet inspecteur du travail, qui se voit initialement refuser l'entrée d'une salle de jeux traditionnels car il n'est pas en costume-cravate. Ou ces syndicalistes obligés dans certains établissements, selon David Rousset, d'«exercer dans la clandestinité vis-à-vis de la direction, sous peine d'être virés». «Dans certains groupes, le niveau du dialogue social est proche de zéro, pour ne pas dire moins, raconte Enrique Cuevas. Parfois, être syndicaliste, c'est signer son arrêt de mort. Quand je me suis présenté, de bonnes âmes, proches de la direction, m'ont dit : "Tu peux tirer une croix sur ta carrière."» Un négociateur patronal, lui, nie en bloc : «C'est vrai que ce n'est pas facile et qu'on s'expose, mais comme dans toute autre entreprise.»
La semaine dernière, les deux organisations patronales ont lâché du lest, cédant sur une augmentation salariale de 4 % sur les bas salaires. Mais les syndicats exigent d'autres garanties, notamment sur la prévoyance et le travail de nuit. «On ne peut pas tout faire en même temps», renchérit-on chez Casinos de France, l'organisation qui regroupe notamment Accor, Barrière et Tranchant. «Ces négociations interviennent alors que les casinos n'ont plus le vent en poupe. A périmètre constant, le produit brut des jeux devrait régresser de 3 % ou 4 % en 2004.» Une réunion de la dernière chance a lieu, demain, à Paris. «J'espère qu'ils viennent pour négocier, lâche un casinotier. Mais s'ils veulent aller à la grève, on ne pourra pas les en empêcher.»
(1) Barrière et Accor Casinos
ont officiellement conclu vendredi leur rapprochement.
(source : liberation.fr/D'ALLONNES David REVAULT)