A l’été 2008, Jean-Pierre Beuret se laissait submerger par l’amertume. Le président de la Loterie romande (LoRo) avait alors des mots très durs pour dénoncer la «stratégie de l’asphyxie» menée par une administration fédérale décrite comme à la solde des casinos. «Ces attaques pourraient aboutir à la disparition de tout ou partie des activités de la Loterie romande», prévenait l’ancien ministre jurassien.
Un an et demi et une crise financière plus tard, Jean-Pierre Beuret paraît tout ragaillardi. L’initiative fédérale «pour des jeux d’argent au service du bien commun» lancée par la LoRo a recueilli 195 000 signatures début octobre. Ce succès n’est aujourd’hui plus qu’un signal parmi d’autres qui semblent indiquer un retournement de situation en cours à travers toute l’Europe. Les premiers à en souffrir sont les casinos, pris en tenaille entre les sites illégaux de paris en ligne qui redoublent d’arrogance et les loteries nationales dont les discours volontiers protectionnistes trouvent un nouvel écho auprès des gouvernements, soudain moins enclins à partager leurs recettes fiscales avec des opérateurs privés.
Depuis le début des années 2000, le vent de la libéralisation du commerce des biens et des services était venu bousculer ce secteur jusqu’ici protégé par la connivence des Etats, percepteurs des rentes de leurs loteries nationales. La plupart des gouvernements européens ont été amenés à entrouvrir, chacun à leur manière, le marché des jeux d’argent à des opérateurs privés. Ceux qui y rechignaient, à l’image du Portugal, ont été la cible de dizaines de recours lancés par des sociétés européennes de paris en ligne comme Bwin ou Interwetten, détentrices de licences de complaisance à Gibraltar ou à Malte et cotées à la bourse de Vienne. Or leur activisme juridique vient de se retourner contre elles, le 8 septembre dernier, avec un jugement très remarqué de la Cour européenne de justice.
Dans la réédition récente de son livre sur les loteries*, Jean-Pierre Beuret estime que le «cataclysme financier» qui a secoué la planète se retourne aujourd’hui en défaveur des tenants du «tout au marché en matière de jeux d’argent». Selon lui, les «prophètes du libre profit qui plaident en faveur d’une soumission des loteries aux seules règles du marché épousent la philosophie financière qui a conduit le système bancaire mondial à l’implosion».
La pique aurait de quoi faire rugir les gérants de casinos suisses s’ils n’avaient d’autres problèmes bien plus immédiats à régler. L’interdiction de fumer dans les lieux publics menace de faire fondre leurs revenus de 20%, comme le promettent les précédents français et allemand.
C’est le cas du casino de Montreux, qui a vu son chiffre d’affaires se contracter de 15% du jour au lendemain après l’entrée en vigueur de la loi le 15 septembre dernier. Cerise sur le gâteau: le taux d’imposition appliqué aux grands casinos a été revu à la hausse le 1er janvier. Directeur du casino de Montreux, Gilles Meillet n’est pas loin d’invoquer la pitié: «Aucun secteur économique n’a été chargé d’une telle manière en plein retournement de conjoncture.»
*«Le premier mécène romand
en péril», Jean-Pierre Beuret, PPUR.
(source : letemps.ch/François Pilet)