On évalue à 600.000 le nombre de joueurs à problèmes. Les médecins redoutent que ces jeux touchent les plus fragiles.
Les sites de jeux basés à l'étranger ont eu tendance à se multiplier au cours des dernières années, au point de concurrencer La Française des jeux et le PMU. Pour endiguer ce phénomène, la France a récemment légalisé les paris hippiques et sportifs (juste avant le début de la Coupe du monde de football, en juin) ainsi que le poker (le 30 juin) sur Internet. Quelques semaines seulement après cette légalisation, les médecins spécialistes de l'addiction lancent un cri d'alarme. Ils craignent un afflux de joueurs pathologiques en consultation. D'autant que les Français sont joueurs : un sur deux a déjà tenté sa chance.
Contrairement à ce qui se fait dans d'autres pays, notamment en Amérique du Nord, il n'existe pas en France de données précises sur les joueurs pathologiques, qui entretiennent avec le jeu une relation autre que celle du simple loisir et du plaisir occasionnel. Les États-Unis et l'Australie ont une prévalence forte de joueurs à problèmes ou pathologiques, autour de 5%. Les prévalences relevées dans les pays européens sont nettement inférieures : entre 1 et 2%, niveaux comparables à ceux observés au Canada et en Nouvelle-Zélande. Le centre de référence sur le jeu excessif basé à Nantes évalue à 600.000 le nombre de joueurs pathologiques en France.
Mêmes phénomènes qu'avec la cocaïne
Claude Olievenstein, le «psy des toxicos», qui avait fondé au début des années 1970 le centre médical Marmottan à paris, définissait la toxicomanie comme la rencontre «d'un produit, d'un moment socio-culturel et d'une personnalité». Pour lui, «produit» signifiait drogue. «Olievenstein croyait beaucoup à la spécificité de l'héroïne et il était très réservé sur la question de l'addiction sans drogue, explique son successeur à Marmottan, le psychiatre Marc Valleur. Pour moi, nul besoin de drogue dure pour créer une addiction.» Pour ce spécialiste, comme pour beaucoup de psychiatres addictologues, les jeux en ligne vont créer de vraies pathologies. «La cocaïne est une drogue que l'on peut arrêter facilement, estime Marc Valleur. Mais on a aussi tendance à rechuter très facilement. Ces phénomènes se retrouvent avec le jeu.»
Pour ces médecins, il ne semble donc pas surréaliste de faire le parallèle entre la cocaïne et le jeu. «Globalement, tout ce qui apporte du plaisir, une excitation peut devenir une addiction, explique de son côté le Pr Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d'addictologie à l'hôpital universitaire Paul Brousse. On peut parler d'addiction dans la mesure où ces joueurs se mettent en très grande difficulté, financière et sociale notamment.»
Les psychiatres répartissent les joueurs en trois grandes catégories. La première regroupe ceux qui jouent comme d'autres se droguent. Ils sont à la recherche de sensations fortes, veulent interroger la loi du hasard et pensent être «plus forts que Dieu». Ce sont des transgresseurs. La deuxième catégorie concerne ceux qui considèrent le jeu comme une automédication, une sorte de «pansement de l'esprit» pour retrouver la paix après un divorce, un licenciement. Ils veulent réparer les injustices du quotidien. Enfin, la dernière catégorie est composée de ceux pour qui jouer est une seconde nature. Ils allaient aux courses en famille le dimanche, leurs parents jouaient aux cartes avec des amis et le loisir est indissociable du jeu.
Les transgresseurs (ceux de la première catégorie) vont le plus souffrir avec les jeux en ligne, estiment les psychiatres. «Ils ont un bon profil pour le poker et les pronostics, redoute Marc Valleur. Ils sont dans l'illusion de la maîtrise, ils pensent qu'ils vont devenir des tueurs au poker. Pour la deuxième catégorie, c'est la machine à sous qu'il faut redouter.» Le problème avec Internet, c'est que le frein social (regard des autres, horaires de fermeture des casinos ou des bars) n'existe plus. Le joueur peut parier seul devant son écran, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
Comment reconnaître que l'on est devenu «accro»? Quand on dit «c'est plus fort que moi», il est temps de consulter. Le traitement consiste à déceler les troubles psychiques sous-jacents (dépression, addiction à un autre produit comme l'alcool ou le tabac) pour les traiter par une psychothérapie comportementale notamment.
(source : lefigaro.fr/Anne Jouan)