Pauvre «France»! Il était né pour braver les tempêtes, traverser les océans. Quarante ans après sa première mise à flot, le paquebot mythique le plus rapide de sa génération, symbole des Trente Glorieuses, va se retrouver à quai, amarré ad vitam aeternam à Honfleur pour être transformé en complexe touristique géant. Gérard Brémond sera-t-il le capitaine du projet? A 67 ans, le patron de Pierre et Vacances le reconnaît d’un air gourmand: cette nouvelle aventure le tente. Casino, thalasso, centre de congrès et hôtellerie de différents standings, mais aussi pourquoi pas jeux vidéo et golf virtuel, il a tout prévu. «Il faut conjuguer nostalgie et nouvelles technologies, l’ambiance croisière et le court séjour.» Mais pourquoi diable ne pas le faire voguer, ce fabuleux navire? «Le "France" n’est plus adapté aux normes des bateaux de croisière actuels. A l’étranger, le nom est peu évocateur, et la clientèle française ne suffit pas pour lancer un tel projet. En revanche ce sera un formidable point de départ pour découvrir toute la côte normande, visiter Deauville et Trouville.» Sur le papier, le projet semble bouclé. A quelques petits détails près.
Un: quel sera le montage financier?
Deux: qui va payer l’opération de désamiantage du paquebot?
L’actuel propriétaire du bateau Isaac Dahan, un riche promoteur immobilier qui a racheté le paquebot rebaptisé « Norway » à la Compagnie norvégienne il y a deux mois? Les pouvoirs publics? Ou l’opérateur?
Reste aussi à savoir dans quels délais l’opération pourra se faire. Et, surtout, à quel prix. «Les réponses à ces questions sont les préalables absolus à toute décision de notre part, explique Gérard Brémond. Or, pour l’instant, les écarts entre les experts sont gigantesques. Il faut avoir les nerfs solides. Selon les estimations, le projet est formidable, ou complètement plombé.» Comme à son habitude, ce spécialiste du tourisme, considéré comme un redoutable gestionnaire, n’est pas homme à se laisser griser par un projet, aussi séduisant soit-il. «La passion n’exclut pas la raison», répète-t-il.
Vingt ans après avoir créé la station de ski Avoriaz, le leader européen de la résidence de loisirs n’a pas changé. Car avant d’être un expert du tourisme, le patron de Pierre et Vacances est d’abord un spécialiste de la promotion immobilière. Certes, il sait capter l’air du temps. Mais c’est sa capacité à garder les pieds sur terre et l’œil sur les chiffres qui a bâti sa réputation. Dans un secteur dominé par des ego surdimensionnés, cet homme d’affaires discret, passionné de jazz et de sport, ne s’est jamais laissé aveugler par les paillettes, ni griser par le succès. Et ça marche: avec plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et quelque 45 millions de résultat net en hausse de 12%, son groupe, dont il détient solidement plus de 50% du capital, fait un véritable pied de nez à la crise. En cinq ans, il a tranquillement avalé Maeva, numéro deux du secteur, puis les Center Parcs, assuré une croissance tranquille au groupe, sans jamais en perdre le contrôle. Ce n’est pas le «France» qui le fera changer de cap.
(source : nouvelobs.com/Natacha Tatu)