En l'espace de quelques semaines c'est l'ensemble du paysage des jeux en ligne qui a été ébranlé en France.
Le premier coup de boutoir a été porté par la Commission européenne qui a annoncé en juin 2007 vouloir engager une procédure d'infraction contre la France afin qu'elle ouvre à la concurrence le secteur des jeux en ligne. A réception d'une injonction en ce sens, la France disposera de trois mois pour modifier la réglementation applicable. A défaut, elle sera traduite devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). La Commission européenne est en effet aidée dans sa tâche par la CJCE. Cette dernière avait d'ailleurs ouvert le bal en 2003, par le célèbre arrêt Gambelli (1), en estimant que le gouvernement italien ne pouvait pas d'un côté promouvoir des jeux dans son pays pour faire rentrer de l'argent et, en même temps, invoquer la protection du consommateur pour interdire à d'autres opérateurs légaux dans d'autres Etats membres d'en faire de même sur le territoire italien. Il faut rappeler que, en France, les activités liées aux jeux et paris sont fortement encadrées. Nombreuses sont les difficultés rencontrées par ceux qui s'y sont attaqués, qu'il s'agisse de grands groupes spécialisés dans les casinos et salles de jeux, d'artistes connus pour leur compétence dans le monde du poker ou des déboires sur le sol français, des dirigeants de la société autrichienne Bwin. En 2006, un plan d'action interministériel a même été arrêté avec trois lignes de force : engagement systématique de poursuites judiciaires, renforcement des sanctions - notamment relatives à la publicité pour ces sites - et mise en place d'un observatoire des jeux d'argent sous l'égide du ministère de l'Intérieur. La politique de l'Etat français dans ce domaine peut être stigmatisée par la modification en mars 2007 (2), de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, qui a mis sur un même pied d'égalité la lutte contre la pédopornographie, l'incitation à la violence et à l'atteinte à la dignité humaine et les jeux en ligne. Les fournisseurs d'accès et les hébergeurs ont été contraints « compte tenu de l'intérêt général attaché à la répression des activités illégales de jeux d'argent » de mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant de signaler à leurs abonnés les services en ligne tenus pour répréhensibles par les autorités publiques compétentes.
L'intérêt général
Le deuxième coup de butoir a été donné par la Cour de cassation elle-même, dans un arrêt du 10 juillet 2007 (3), soit quelques jours après les informations en provenance de la Commission. Aucun lien entre l'un et l'autre de ces événements si ce n'est qu'ils sont placés sur le même axe : la remise en cause du monopole des jeux en ligne en France. Il marque une étape importance d'une saga judiciaire débutée en 2005, opposant le PMU à la société maltaise ZEturf, qui propose sur son site des paris sur des courses hippiques organisées en France. En juillet 2005, le président du tribunal de grande instance de Paris avait ordonné à la société maltaise de mettre un terme à ses pratiques. La cour d'appel avait confirmé la décision en janvier 2006, estimant que le monopole du PMU était justifié par l'intérêt général. Aujourd'hui, les magistrats cassent partiellement l'arrêt, non sans préciser que le fait pour l'Etat de tirer des recettes de cette activité n'est pas incompatible avec la protection de l'intérêt général, ce qui est, en soi, rassurant pour les établissements bénéficiant du monopole. La Haute Cour a néanmoins censuré l'arrêt d'appel pour ne pas avoir recherché si les autorités nationales n'adoptaient pas une politique expansive dans le secteur des jeux afin d'augmenter les recettes du Trésor public, ce qui serait incompatible avec l'objectif légitime de prévenir l'exploitation des jeux de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses. Elle a ensuite vérifié si l'intérêt général invoqué n'était pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire de services était soumis dans l'Etat membre de son établissement. La cour d'appel de Paris, auprès de qui l'affaire est renvoyée, aura à s'interroger non pas sur la légitimité du monopole qui n'est pas remise en cause par Bruxelles, mais sur la justification de celui-ci. Si cette justification s'avérait légitime, la cour aura aussi à vérifier qu'elle n'est pas déjà mise en oeuvre par les réglementations du pays d'établissement de ladite société.
Une certaine discordance
Face à ces deux coups de butoir, on notera avec intérêt le jugement du tribunal de grande instance de Paris en juin 2007 (4) qui, entre les décisions de la Commission et de la Cour de cassation, raisonne avec une certaine discordance. L'affaire oppose à nouveau le PMU à la société eTurf et porte notamment sur l'extraction par cette dernière d'éléments de la base de données Infocentre PMU. La société se voit ici condamnée sévèrement à payer au PMU 120.000 euros de dommages et intérêts pour extraction et réutilisation des données de la base. Or cette décision fait par deux fois référence à l'arrêt d'appel cassé par la Haute Cour. Il n'est pas difficile d'imaginer que la même affaire en appel pourrait être autrement teintée et devra à tout le moins tenir compte de l'arrêt de cassation, notamment lorsqu'il s'agira d'examiner à nouveau la question posée d'un abus de position dominante.
(source : lesechos.fr/ERIC BARBRY)