ENTRETIEN. --Entre les grands jeux traditionnels, les machines à sous et l'hôtellerie de luxe, le patron du Groupe Barrière parie sur la clientèle étrangère pour développer ses activités
Propos recueilli par Jacques Ballarin et Bernard Broustet pour le journal Sud Ouest
« Sud Ouest ». Comment se porte votre activité casino ?
Dominique Desseigne. Depuis le début de l'année, nos recettes ont régressé de 8 %, alors qu'elles avaient augmenté de 5 % l'an dernier au cours de la même période.
Pourquoi ce recul ?
Au-delà de la conjoncture morose, il est sans doute dû à la convergence de plusieurs facteurs : nous sommes soumis à la concurrence des jeux illicites sur Internet et devons faire face aux conséquences de l'interdiction de fumer et aux contrôles d'entrée.
Que faites-vous pour compenser ces pertes de recettes ?
Nous recherchons des relais de croissance à l'international. Et nous nous lançons nous aussi dans les jeux sur le Web, avec la création de la société Barrière Internet Gaming, qui est opérationnelle en Angleterre. En France, nous ne pouvons pas pour le moment mettre en ligne des jeux payants sur le Net, bien que d'autres l'aient fait en toute illégalité à partir de l'étranger et souvent de paradis fiscaux.
Pensez vous qu'il y tant d'internautes qui jouent à des jeux d'argent en ligne ?
C'est difficile à estimer, mais on avance les chiffres de 500 000 à un million.
Misez vous sur la légalisation des jeux d'argent ?
Le ministre du Budget, Éric Woerth, l'a laissé entendre dans une déclaration le 6 juin. Il y a sur ce point une pression de l'Europe.
Quelles seraient les conséquences d'un tel changement de la législation ?
Le gouvernement pourrait se donner les moyens de mieux contrôler ces activités. Aujourd'hui, il n'y a aucun contrôle en termes d'addiction, de lutte contre le blanchiment ou d'accès des mineurs.
Mais pourra-t-on vraiment arriver à contrôler les jeux en ligne ?
Dans des pays comme la Suède, des solutions ont été mises en place.
L'activité des casinos eux-mêmes échappe-t-elle aux travers que vous dénoncez à propos des jeux sur Internet ?
Il y a peut-être des brebis galeuses chez nous comme il y en a dans toutes les professions. Mais c'est une petite minorité. Nous travaillons dans la transparence. Le groupe Accor est dans notre capital. Partouche, qui est le numéro 2 français, est côté en Bourse et doit se soumettre aux contrôles de l'Autorité des marchés financiers. Le troisième groupe français a pour actionnaire la Caisse des dépôts du Québec.
Croyez-vous que des financiers de ce type iraient investir chez des truands ?
En outre, je vous rappelle que la police des Courses et des Jeux est présente en permanence chez nous, et que toutes nos salles de jeux sont dotées de caméras. Tout cela est en mesure de prévenir de possibles écarts de la part de nos clients et de nos collaborateurs.
Le nombre de casinos a fortement augmenté ces dernières années sur le territoire national. Les machines à sous s'y sont multipliées. Mais vous et vos confrères en demandez encore de nouvelles alors même que l'activité est en sérieuse baisse. Est-ce bien nécessaire ?
Nos casinos, qui arrivent à maturité et dont il ne faut pas oublier qu'ils rapportent quelque 5 milliards de recette fiscale, se trouvent pour certains dans une passe difficile. L'augmentation du parc de machines à sous peut permettre d'augmenter leur activité dans les périodes de pointe, et notamment au cours des week-ends.
Votre groupe est également spécialisé dans l'hôtellerie de luxe. Il détient entre autres plusieurs palaces à Deauville, Cannes, Paris et La Baule, ainsi que le Fouquet's à Paris. Ressentez-vous dans ce domaine le même tassement que pour les casinos ?
Pour l'instant, au contraire, malgré la conjoncture et la baisse de la Bourse, nous enregistrons dans ce secteur une augmentation de 8 % de notre chiffre d'affaires.
La baisse du dollar ne vous pénalise-t-elle pas ?
Elle a une incidence sur la fréquentation américaine. En revanche, nous avons de plus en plus de clients en provenance d'Asie et d'Amérique du Sud. Et les milliardaires russes représentent une part croissante de la fréquentation de nos établissements, notamment dans le Midi.
La France reste-t-elle une destination touristique attrayante ?
C'est la plus belle destination au monde. Mais n'oublions pas qu'en terme d'argent dépensé par les touristes étrangers sur notre sol, nous n'arrivons qu'en troisième position, derrière les États-Unis et l'Espagne. Nous devons nous efforcer de faire mieux.
Comment y parvenir ?
On pourrait sans doute améliorer l'accueil dans les aéroports. Mais il faut sans doute aussi mieux promouvoir nos grands événements culturels, et nos merveilles, tels que les châteaux de la Loire.
Les palaces parisiens comme le Plaza, le Meurice, le Crillon, le Georges V ou le Ritz accordent une grande importance à la gastronomie. Le Fouquet's, de ce point de vue, est en retrait. Pourquoi ?
Le groupe Barrière ne se désintéresse pas de la gastronomie. Nous avons des tables étoilées à Deauville, à La Baule et à Cannes. Là où nous sommes, notamment dans l'hôtellerie haut de gamme, nous tirons la restauration vers le haut. Le Pullman (l'ex-Sofitel), à Bordeaux-Lac, est un bon exemple. Le Fouquet's a une brasserie de grande qualité reconnue comme telle par les visiteurs internationaux de Paris. Nous servons 500 à 600 couverts. Le positionnement ne peut pas être gastronomique au sens où on entend ce mot. Nous voulons avoir une table étoilée, c'est pourquoi nous venons d'ouvrir le restaurant le Diane, un gastro 100 %. Sa consécration future ne dépend pas de nous, mais du guide Michelin.
« Malgré la conjoncture, nous enregistrons, dans l'hôtellerie de luxe, une augmentation de 8 % de notre chiffre d'affaires »
Vous êtes considéré comme un proche de Nicolas Sarkozy. La fête organisée au Fouquet's le soir de son élection a-t-elle-contribué à la popularité de votre établissement ?
Je me bornerai à remarquer sur ce point que le président de la République a choisi le seul palace parisien qui ne soit pas détenu par des capitaux étrangers.
Aimeriez-vous exploiter l'hôtel du Palais, à Biarritz ?
Si un jour, la mairie le louait ou nous le donnait en gestion, nous adorerions nous en occuper. Mais jusqu'ici, elle n'a pas voulu.
Vous êtes notaire de métier. Votre mariage avec Diane Barrière, la disparition de son père, Lucien Barrière, puis la sienne, vous ont propulsé à la tête du groupe. Comment vous êtes-vous formé pour faire face à vos nouvelles responsabilités ?
On apprend en écoutant et en travaillant. On n'est pas seul, on a des collaborateurs compétents et des équipes motivées. Le métier est intéressant et ma formation juridique est un plus.
Depuis que vous présidez aux destinées du groupe, quelle est son évolution ?
On a multiplié notre chiffre d'affaires, qui est de 5,2 milliards d'euros, par 5 en cinq ans.
(source : sudouest.com/par Jacques Ballarin et Bernard Broustet)