INTERVIEW - Stéphane Courbit, président du conseil d'administration et actionnaire à 50 % de BetClic Everest Group, réclame un assouplissement de la législation.
Propriétaire de Lov Group, actionnaire à 50 % de BetClic Everest Group aux côtés de la Société des bains de mer, Stéphane Courbit - ancien patron d'Endemol - déplore les conditions de l'ouverture du marché des jeux d'argent sur Internet en France. Depuis le 8 juin, date de cette ouverture, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) a accordé 46 agréments à 33 opérateurs. Les joueurs français ont la possibilité de parier dans 30 disciplines sportives, même s'ils privilégient de loin le foot. Mi-novembre, selon l'Arjel, le montant des mises avait atteint 363 millions d'euros pour les paris sportifs et 329 millions d'euros pour les paris hippiques.
LE FIGARO. - Quel bilan tirez-vous de la libéralisation des jeux d'argent sur Internet ?
Stéphane COURBIT. - En France, où nous opérions déjà en respectant la législation européenne, notre produit brut des jeux pour les paris sportifs a été multiplié par deux entre le second semestre 2010 et la même période de 2009. Mais alors que BetClic Everest Group sera à l'équilibre cette année, avec un produit brut des jeux de 360 millions d'euros, son activité de paris sportifs sur le territoire français, bénéficiaire l'an passé, va perdre 25 millions d'euros ! Le président de la République et le gouvernement ont été courageux en décidant d'ouvrir ce marché. Mais la loi française est absurde dans son exécution. C'est la pire d'Europe. Elle ne nous permet pas d'exister : nous sommes trop taxés, le périmètre des jeux autorisés est trop limité et le taux de retour aux joueurs, plafonné, est trop bas. La loi pousse les opérateurs à ne pas prendre de licence en France, s'ils ne veulent pas être structurellement déficitaires.
Vous connaissiez pourtant les nouvelles règles en demandant une licence !
Ce qui se passe est une demi-surprise. Le démarrage a été très bon. Pendant la Coupe du monde de football en juin-juillet, nous recrutions plus de 10 000 joueurs par jour. C'était bien plus que nos prévisions. Mais la courbe s'est totalement infléchie en août, et il n'y a pas eu de reprise en septembre. Le problème vient du plafonnement du taux de retour aux joueurs imposé par la loi française. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas redistribuer plus de 85 % des sommes misées aux gagnants. Partout en Europe, mais également en France si vous n'avez pas pris de licence, vous redistribuez 96 %. Nous n'avions pas imaginé à quel point la déception serait grande pour les joueurs français, qui savent qu'à l'étranger, et sur les sites aujourd'hui illégaux, les taux de distribution sont nettement plus élevés.
La loi a tout de même l'avantage de dissuader les sites illégaux d'opérer en France…
La loi française favorise au contraire la fraude ! Les joueurs savent qu'ils ont intérêt à aller jouer sur les sites qui n'ont pas de licence et ils ne s'en privent pas. L'Autorité de régulation des jeux en ligne a annoncé que la loi a permis de réduire de deux tiers le nombre de joueurs allant sur des sites illégaux. Notre analyse est que les sites autorisés en France ne représentent pas plus de 30 % du marché en valeur des jeux d'argent sur Internet. L'Arjel fait ce qu'elle peut, mais avec une vingtaine de personnes en charge du contrôle, c'est impossible de stopper les sites illégaux. À titre de comparaison, la Chine annonce avoir fermé 2 500 sites de jeux illégaux les quatre derniers mois. Mais 40 000 salariés chinois contrôlent en permanence Internet. La meilleure preuve que le marché illégal perdure, c'est que certaines sociétés cotées, qui ne respectent pas la législation française mais proposent des paris en ligne, ont affiché publiquement de très bons profits au troisième trimestre.
Vous sentez-vous désavantagé par rapport à La Française des jeux et au PMU ?
Aujourd'hui, ils bénéficient d'avantages indéniables. Soit la loi évolue vers plus d'équité, soit nous devrons nous poser la question d'aller remettre en cause le monopole de la FDJ sur les jeux de tirage et de grattage et celui du PMU sur les paris hippiques hors Internet.
Qu'attendez-vous du gouvernement ?
Nous voulons faire prendre conscience aux parlementaires que nous ne pouvons attendre la clause de révision de la loi prévue en décembre 2011 pour faire évoluer la loi. Cela dans l'intérêt du monde sportif, dans l'intérêt de la lutte contre le jeu illégal et dans l'intérêt de l'État. L'Italie a, au cours des dernières années, progressivement baissé sa fiscalité sur les jeux, passée de 14 % à 3,5 %, et même les jeux de casino ont été autorisés sur Internet. Cela a permis au gouvernement de capter 90 % du marché illégal, mais surtout d'augmenter ses recettes fiscales. En France, non seulement nous sommes à 12 %, mais, en plus, tous les jeux de hasard en ligne sont interdits. Le minimum vital est un niveau de fiscalité en dessous de 5 %. Cela profiterait aussi bien aux consommateurs, qui auraient plus de plaisir à jouer, qu'à l'État, avec des recettes fiscales en augmentation. Aujourd'hui, il n'y a que des perdants. La loi doit évoluer au plus vite au risque de laisser les jeux d'argent sur Internet aux mains d'opérateurs étrangers. BetClic Everest Group, seul opérateur français, réalise le quart de son chiffre d'affaires en France, mais n'a pas les moyens de vivre sur son marché d'origine. C'est un handicap majeur pour se développer à l'étranger. La loi française telle qu'elle existe empêche les groupes français de se développer mais profite aux groupes étrangers. C'est un paradoxe.
Sans assouplissement de la loi, qu'allez-vous faire ?
Nous allons arrêter la publicité à la télé. BetClic Everest Group est de très loin le premier sponsor privé du sport français en 2010. Nous avons investi une trentaine de millions d'euros en 2010. Nous soutenons les équipes de football de Marseille et de Lyon. Nous finançons aussi 1 500 clubs de foot amateurs, mais également le rugby, le basket, le tennis, l'escrime, le ski, le handball… Dès 2011, nous allons réduire ces investissements de 80 % en nous concentrant sur le foot professionnel. Ce sera une douche froide pour le monde du sport français, mais nous y sommes contraints.
(source : lefigaro.fr/Mathilde Visseyrias et Ivan Letessier)