Gambling  France
 LES JEUX DE HASARD ET D’ARGENT S’INVITENT  A L’ELECTION PRESIDENTIELLE
Par
Jean-Pierre  G. Martignoni-Hutin (sociologue) 
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 Bien que ce ne soit pas une priorité  nationale, le futur Président de la République devra aussi mener  une politique en matière de jeux de hasard. Le gouvernement a besoin  de chiffres, d’études fiables, indépendantes, pour mener à bien  une politique des jeux, responsable, moderne, transparente. Cela  passe par l’installation d’un Observatoire scientifique  pluridisciplinaire des jeux  d’argent et de la socialisation  ludique contemporaine mais un Observatoire qui fonctionne, et possède  des moyens qui soient à la hauteur d’une industrie qui pèse plus  de 31 milliards d’euros
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 Hormis  les propositions du syndicat national du  jeu vidéo (SNJV) à l’adresse des présidentiables (1), les  nombreux jeux de sociétés inspirés par le prochain scrutin (2),  l’intervention – à la demande du CSA -  de la Française des  jeux (FDJ) dans le tirage au sort de l’ordre des passages des  candidats (3) la problématique ludique – et notamment celle qui  concerne les jeux de hasard et d’argent -  n’est pas intervenue  dans la campagne présidentielle. Logique. Chômage, pouvoir d’achat,  insécurité, précarité, dette publique…la kyrielle de dossiers  « sérieux » que devra affronter le prochain président  de la République, a relégué au second plan une problématique  classée généralement dans le « non sérieux et  l’amusement » : le jeu.
 Il est cependant nécessaire de rappeler au futur  locataire de l’Elysée :  que les français ont misé  31,6 milliards d’euros en 2011 ( les dépenses quotidiennes des  français dans les jeux d’argent sont passées en 9 ans de 47,5 à  86,5 millions d’euros ), que cet  impôt démocratique  volontaire contribue « à remplir la bougette » (4) des  nombreux acteurs du gambling et  notamment celle de Bercy, et qu’en final - comme le pensait le  sociologue Roger Caillois - le jeu « donne à voir sur notre  société »
 Certes nous avons toujours réfuté les théories  simplistes du gambling - le jeu comme opium du peuple -  résumées dans la formule latine Panem  et circenses (5). Car ces analyses,   reprises par certains économistes à travers la théorie de la  pauvreté sont réductrices. Si une corrélation existe entre niveau  de richesse et pratique des jeux de hasard, elle reste à étudier de  manière fine et ne constitue en aucune manière un rapport de  causalité univoque. Si la volonté de  sortir de sa condition sociale, d’améliorer l’ordinaire en jouant constituent des motivations importantes des gamblers,  une kyrielle d’autres raisons existent. Par ailleurs de multiples  indicateurs et variables sociologiques et biographiques rendent  compte des raisons, conditions et conditionnements, représentations  et croyances, qui expliquent pourquoi  ça joue, pourquoi certains jouent et  d’autres pas. Une approche  scientifique du gambling est donc  nécessaire. Elle passe par l’installation d’un Observatoire des  jeux. Certes sur le papier cet Observatoire existe désormais mais il  semble que nous avons là - pour l’instant - plutôt une commission  qu’un Observatoire scientifique des  jeux de hasard et d’argent et de la socialisation ludique  contemporaine.
 Souhaitons que les pouvoirs publics revoient leur  copie à l’occasion de la nouvelle donne politique qui résultera  des élections. Si la Majorité  actuelle a le courage de jouer  franc jeu sur ce dossier recherche,  elle sera gagnante au bout du compte et évitera bien des polémiques  et critiques ultérieures, aussi bien au niveau national qu’européen.  Si l’Opposition revient  aux affaires, elle pourra également s’appuyer sur les travaux  de  cet Observatoire pérenne, objectif,  neutre. La Classe politique dans son  ensemble – notamment les parlementaires qui ont travaillé sur le  dossier, les maires des villes casino… - doivent donc pouvoir se  mobiliser en faveur d’un tel organisme. Les opérateurs ( en dur et  en ligne) également, s’ils ne veulent pas que les  produits qu’ils commercialisent,  soient de plus en plus systématiquement assimilés à une substance  nocive, à une drogue.
 Par ailleurs pour être opérationnel un  Observatoire des jeux doit posséder  des moyens, sinon c’est une coquille vide. Les chiffres du gambling soulignent d’évidence que l’Observatoire des jeux doit être à  la hauteur des enjeux sociaux, économiques, culturels, fiscaux…  d’une industrie qui correspond par ailleurs à un fait  social, historique et culturel  majeur  qui concerne quotidiennement des millions de nos concitoyens… que  ça plaise ou non. La Française des jeux a passé la barre  symbolique des dix milliards, les jeux en ligne montent en puissance.  Ne parlons même pas de la filière cheval qui pèse un poids certain  et des 196 casinos nationaux qui, bien qu’en difficulté (-18,72%  en trois ans), participent à l’animation ludique et festive du  territoire. Ne regardons pas ce secteur par le petit bout de la  lorgnette. Il y a une sociologie du jeu, une économie du jeu, une  histoire du jeu, riche et ancienne. Les pratiques ludiques de nos  concitoyens - qui font partie des cultures populaires et du  patrimoine ludique nationale - ne doivent pas être perçues de  manière univoque à travers le prisme de l’addiction individuelle  comme le souhaite la doxa du  jeu pathologie maladie et ceux qui exploitent le business du jeu compulsif. Ce serait une erreur  politique, un non sens scientifique.
 Financer un Observatoire des jeux, sur fonds  majoritairement publics, c’est également se donner les moyens  d’éviter les conflits d’intérêts.  On a beaucoup parlé de conflits d’intérêts  dans le domaine  politique. Ils existent aussi dans le domaine de la recherche et de  l’expertise. Alors que le rapport de la commission Sauvé a laissé  des traces (6) et que certains se demandent si  « le temps de  la tolérance-zéro » ( 7) n’est pas venu en matière de  conflits d’intérêts, l’installation d’un Observatoire  scientifique des jeux qui aient les moyens de ses ambitions  permettrait d’en éviter de nombreux dans le domaine du gambling, notamment sur le volet jeu  problématique, jeu des mineurs, taux  de redistribution….Le gouvernement a besoin de chiffres objectifs,  d’études fiables, indépendantes, pour mener à bien une politique  des jeux, responsable, moderne, transparente.
 La France a également tout à gagner de se doter  d’un tel Observatoire vis-à-vis de l’Europe. Bruxelles  s’interroge par exemple sur les vérités antinomiques de la doxa du jeu pathologie maladie. La  commission Européenne cherche à savoir si  le phénomène  d’addiction est plus répandu dans le jeu en ligne que dans le jeu  en dur. « Certains disent que c’est le cas, d’autres  prétendent l’inverse » déplore t on à Bruxelles » (8)  Cette interrogation européenne indique que la question du jeu  excessif - sa définition, sa mesure - doit être traitée  scientifiquement et de manière pluridisciplinaire car elle peut  facilement être instrumentalisée. C’est à l’Observatoire des  jeux de le faire. En mettant en place un Observatoire scientifique du  gambling , la France ne sera pas suspectée pas l’UE,  d’instrumentaliser les chiffres et pourra en outre -  dans ce  domaine comme dans d’autres -  servir de locomotive au niveau de la  recherche Européenne.
 Mais quel doit être le rôle d’un Observatoire ?  Soyons clair pour ceux qui craignent une république des experts. De  notre point de vue  il est d’observer scientifiquement, de faire des  enquêtes, de mesurer…Toutes les « vérités scientifiques »  sont bonnes à dire. Mais en aucune manière  un Observatoire ne doit  décider d’une politique des jeux qui relève du gouvernement en  dialogue avec la représentation nationale. La décision,  l’orientation  de l’action publique doit en final relever de  l’autorité politique, garante de l’intérêt général, sous  peine d’être systématiquement entravée par des opinions,  des intérêts.
 Le fait que le successeur annoncé de François  Trucy – Jean François Lamour (UMP)– ait publié le 26 mai 2011  un rapport avec la députée socialiste Aurélie Filippetti (PS)  (9)souligne – malgré les divergences affichées et les joutes  rhétoriques antagonistes qui se sont déroulées au Sénat et à  l’Assemblée Nationale en 2010 sur la question des jeux en ligne -  que la classe politique devrait pouvoir se retrouver sur cette idée  d’observatoire revisité, qui travaillerait sans a priori sur le gambling. 
 Etant à l’origine de l’initiative (10)  qui  a abouti à l’inscription d’un Observatoire des jeux dans la loi  votée en 2010, notre devoir était à la veille de l’échéance  présidentielle, d’intervenir pour défendre à nouveau cet  organisme de recherche, dirigé actuellement par Charles Coppolani,  tout en rappelant aux candidats à l’élection suprême que les  joueurs de jeux de hasard et d’argent se comptent en millions (11)  et constituent certainement «  le premier parti de France » !  Une invitation à prendre le jeu  - et les joueurs - au sérieux.
 © Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin, Lyon,  France, 210.  Avril 2012
Notes
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     Le SNJV et son président ( Nicolas Gaume) a  	transmis 10 propositions aux candidats pour expliquer les  	difficultés rencontrées par l’industrie française des jeux  	vidéo (2,7 milliards de CA en 2010) (« Le jeu vidéo s’invite  	aux présidentielles », esportsfrance.com du 14 mars 2012) 
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     « Elisez-moi ! « , « Racolage  	électoral », « La course à l’Elysée », « Si  	j’étais président… », «  Skaandal :  	présidentielles 2012 », jamais un scrutin n’avait autant  	inspiré les jeux de société ( Confer : «  Qui veut  	jouer à la présidentielle ? «  Le Parisien du 5 avril  	2012) 
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     Daniel Psenny, « Temps de parole : le  	CSA fait appel à la Française des jeux » ( LeMonde.fr du  	30/3/2012) 
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     ) Ancien mot  	de la langue française qui désignait une bourse ou un coffre ou  	l’on met  de l’or. Après avoir voyagé notamment en Angleterre,  	ce mot nous est revenu sous le terme… Budget. 
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     « Du pain et des jeux » Cette  	expression est empruntée au poète Juvénal qui regrettait que le  	peuple romain se soit à ce point affaibli qu’il ne désirait plus  	que du pain et des jeux. L’expression décrit également une  	méthode politique, basée sur la démagogie et qui fait du peuple  	un rassemblement de sujets ignorants ou incapables de penser par  	eux-mêmes qu’il suffirait de nourrir et de divertir ( source  	Renzo Tozi , Dictionnaire des sentences latines et grecques, Ed.  	Jérome Million 2010, 192-193) 
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    Emeline  	Cazi, Des règles strictes pour lutter contre les conflits  	d’intérêts : la commission Sauvé remet son rapport à N.  	Sarkozy, Le Parisien, 26 janvier 2011 
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    Valérie  	de Senneville, Conflits d’intérêts : le temps de la  	tolérance zéro, Les Echos, 8 février 2011 
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    Alexandre  	Counis, Jeux en ligne : Bruxelles prépare un Livre Vert  	très consensuel, Les Echos, 13 janvier 2011 
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    Rapport  	d’information n°3463 sur la mise en application de la loi  	n°2010-476 du 12mai 2010 relative à l’ouverture à la  	concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et  	de hasard en ligne, Assemblée Nationale, mai 2011, 203 pages 
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    "  	Prolifération des jeux d'argent, misère de la recherche "  	(Les Echos , «  le point de vue de  JP  	Martignoni-Hutin »,  25 Juin 2001,60) « La nécessité  	d’une réelle politique des jeux «  (Les Echos du  	26,27décembre 2003, p.10, “Idées” , article rédigé à  	l’initiative de JP Martignoni-Hutin (sociologue) en collaboration  	avec Christian Bucher (psychiatre), Marc Valeur (psychiatre,  	directeur du centre médical Marmottan à Paris,), Matthieu Vincent  	Beaustar (avocat à Paris) 
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    27  	millions de joueurs, simplement pour la Française des jeux