Le discours législatif soucieux de la santé publique masque une perspective potentiellement sombre pour le secteur.
Au premier trimestre de l’année prochaine, l’Office fédéral de justice produira son rapport sur la révision de la loi sur les jeux d’argent et de hasard. Avant l’ultime décision du Conseil fédéral, ce rapport sera une étape décisive sur la réglementation suisse des jeux d’argent en ligne. Derrière un discours législatif soucieux de la santé publique se cachent divers enjeux et une perspective potentiellement sombre pour l’industrie.
La législation des jeux d’argent en Europe et en Suisse en particulier est peu évidente pour les non-initiés. Dans les grandes lignes, elle stipule que les sociétés exploitant sur le territoire des serveurs de jeux de casinos ou de paris, effectuant des transactions financières en lien avec le secteur ou encore en faisant la promotion sont passibles de poursuites pénales.
Face à la réalité des pratiques, il était clair dès 2009 pour le Conseil fédéral que cette rigueur allait tomber en désuétude. L’avant-projet souligne 3 raisons principales à une révision:
l La lutte contre l’addiction au jeu (un financement pérenne de la prévention devrait voir le jour)
l La lutte contre le blanchiment d’argent
l La lutte contre la manipulation des rencontres sportives
La direction suivante devrait être prise: seules les maisons de jeu bénéficiant d’une concession seront autorisées à proposer des jeux d’argent en ligne. Les joueurs se rendant sur d’autres sites risqueront tout au plus de se faire confisquer leur argent en jeu.
La lutte contre l’addiction, largement mise en avant par les autorités et le GREA (Groupement Romand d’Etudes des Addictions), pourrait bien n’être, malgré son bien-fondé, qu’un simple alibi.
L’enjeu principal est probablement fiscal. Un site illégal, fut-il fréquenté par des millions de joueurs, ne rapporte rien aux cantons ou à l’état fédéral. La lutte contre l’addiction se doit d’être financée, et les cantons pourraient trouver dans quelque mesure fiscale une nouvelle source de revenus pour mener à bien leurs projets.
Un dernier enjeu pourrait se situer au niveau de la communication. En effet, la Suisse est souvent pointée du doigt par ses voisins pour sa fiscalité. En prenant des mesures fiscales tout en se faisant chevalier de la lutte contre le blanchiment d’argent sur un secteur à la réputation sulfureuse, il est possible que l’Etat veuille envoyer un message positif à ses partenaires européens.
Pour disposer d’une offre attractive, on peut imaginer que seuls les huit établissements de type A, habilités à proposer tous les types de jeux et sans limites de mises ou de jackpots, pourront dans les faits avoir une activité en ligne digne de ce nom. En effet, dans l’industrie du»gambling», seuls des géants historiques et mondiaux peuvent se permettre d’être mono-activité (exemple pokerstars.com).
Surtout, le vivier de joueurs sur le territoire devrait s’avérer trop juste pour empêcher une forte concentration des acteurs. Cela vaut en particulier pour les paris hippiques et le poker, où seule une masse de joueurs conséquente permet d’être attractif pour les internautes (meilleures cotes, plus gros gains …). «Offline», la masse commune de parieurs hippiques du PMU français et de la Loterie Romande en est le parfait exemple: cette dernière n’aurait pu proposer seule ce type de jeu.
Plusieurs pays européens sont d’ores-et-déjà régulés. Le cas le plus intéressant demeure celui de la France qui pourrait présager l’avenir du secteur en Suisse. Avec 15 fois plus de joueurs potentiels, la France a pourtant rapidement connu une forte concentration des acteurs.
A l’été 2012, plus d’une dizaine sur les quelque 25 qui s’étaient lancés dans l’aventure fermaient. Il y a environ un an, c’était au tour de Barrière Poker, le site de poker de la Française Des Jeux créé en partenariat avec un grand groupe de casinos.
Aujourd’hui, tous les acteurs légaux comme Betclic, PMU ou Winamax ont diversifié leurs activités pour tenter de poursuivre leur croissance (même le leader PokerStars devrait se lancer dans les paris sportifs). Mais cela n’empêche pas une crise structurelle de certains marchés, comme celui du poker en ligne.
La réglementation ouvrait ici la porte à tout acteur respectant un cahier des charges précis, fut-il une multinationale. Qu’en aurait-il été si à l’instar de la Suisse, seuls les acteurs locaux comme les casinos avaient été autorisés? Ceux qui s’y sont essayés en France soit ont fermé (Partouche.fr, Barrièrepoker.fr), soit sont en sursis (Joa). Dans un cadre suisse bien plus strict se profile aussi et tout comme en France un ultime paradoxe: la volonté de protéger les joueurs qui fait les beaux jours d’une offre illégale...
(source : agefi.com/Lionel Millet*Pull Media)