Malgré une réglementation contraignante, l’industrie des casinos trace discrètement son sillon au Maroc. Ces lieux d’animation touristique suscitent bien des fantasmes. Projecteur.
Casino Mirage à Agadir. Comme la plupart des casinos du monde, ici, passé les vigiles et l’entrée impressionnante qui mène vers les salles de jeu, on rentre dans un autre univers, avec ses codes et sa réglementation. L’alcool, gratuit, coule à flots. C’est le meilleur moyen de garder, pendant longtemps, les joueurs devant les tables de jeu. En principe, les Marocains et les Musulmans n’y ont pas droit. «Mais comment reconnaître le Musulman du Juif et de l’orthodoxe», s’interroge Moulay Mustapha, le directeur commercial de la Mamounia?
Au Mirage comme partout ailleurs, les chèques ne sont pas acceptés, à moins d’avoir une caution bancaire. Et même si cette condition est remplie, les gérants restent intransigeants pour des montants dépassant les 100 000 dirhams. Par contre, les espèces et les cartes bleues utilisées par les touristes sont les bienvenues. Pas de trace. C’est le principe de l’industrie des jeux, une industrie qui sert de passerelle entre les circuits informels et le circuit légal. La réputation de «machine à laver » qui colle à certains de ces endroits, est peut-être surdimensionnée, mais pas tout à fait infondée, commente un habitué de la nuit gadirie. Seules 40% des recettes seraient déclarées. Ce dont se défendent bien les gérants.
La plupart des gérants interrogés esquivent la question, gênante des recettes. D’aucuns avouent qu’un Casino n’est jamais perdant à la longue, mais que, sur une seule soirée, quand deux ou trois grands joueurs font des gains, cela peut menacer l’équilibre financier du groupe, surtout s’il est en phase de démarrage, ou en rodage. Le cas le plus célèbre est arrivé un soir de Réveillon à Marrakech, quand deux joueurs ont fait un gain simultané de 1 million de dirhams. Les gérants des lieux qui devaient en plus régler les frais d’orchestre et le banquet de promotion pour les invités, ont fermé boutique le lendemain. Moralité : les casinos restent une affaire délicate qui, pour tourner, a besoin de s’adosser sur des structures solides. Ce sont soit des hôtels de luxe, pourvoyeurs de clientèle, soit sur une marque forte. Affilié au groupe Partouche, le casino Mirage a visiblement opté pour cette deuxième solution. En fait, la licence est détenue par une personne physique de nationalité française, qui l’a rachetée en 2005 à l’ex-propriètaire, à savoir la société Club Med. Le repreneur français est associé avec le groupe Partouche, lequel a financé machines et tables de jeux. Quant au local, il reste propriété de Valtur. Mais dans cette association, tout le monde y trouve son profit. Tous les soirs, à la fermeture, les comptes sont communiqués au propriétaire en France via Internet. Les clients de Valtur et Club Med trouvent un endroit de détente taillé sur mesure. Ici la mise ne dépasse pas 200 dirhams. Ce qui fait fuir les joueurs professionnels, adeptes de grosses cagnottes, mais pas le troisième âge qui y trouve un certain confort. Malgré la marque Partouche, le Mirage connaîtrait quelques difficultés financières. Le propriétaire serait en négociation pour céder l’affaire à un haut financier français, connu dans le monde des vins et des champagnes. Les conclusions qui devaient aboutir en novembre ont été retardées. C’est l’ancien directeur de l’établissement qui sert d’entremetteur dans les négociations. Après un périple l’ayant mené en Roumanie, en Afrique du Sud et en Allemagne, ce professionnel des casinos espère bien déposer son baluchon à Agadir. Les négociations en cours devraient aboutir à la fin de ce mois. La prolifération des casinos à Agadir attise évidemment la concurrence. Une véritable bataille est engagée entre les différents lieux de jeu. Outre le Shem’s, géré par la famille Corse Franscesu qui tient aussi le casino situé sur boulevard Osman à Paris, et un Cercle des Jeux dans les environs des Champs Elysées. Que n’a –t-on pas dit de ce casino Shem’s à Agadir et de ses gérants !
Une réglementation à géométrie variable
En France, la réglementation est claire. Pas de roulette dans une ville comme Paris, capitale économique. Se faisant, le législateur cherche à tout prix à éviter une quelconque accointance entre l’argent propre et l’argent sale. En Belgique, il est interdit de jouer dans sa ville de résidence. Le Bruxellois peut aller jouer à Anvers ou à Liège, loin de sa famille. En Turquie, depuis 1998, les casinos sont assez restreints. Au Maroc, une circulaire du temps du gouvernement d’Abderrahmane Youssoufi précise les lieux d’implantation des casinos. Précisions au passage que le monopole sur certaines villes dont Mohammedia n’est plus de mise. Une proposition de réglementations menée en consultation avec teneur de casino français avait été engagée. Tout récemment, la direction des aménagements et investissements s’était à son tour intéressée au dossier. Mais par rapport à la réglementation actuelle, les taxes sont disposées comme suit : 7% des recettes sont versées au profit des FAR (Forces Armées Royales), 7% pour l’Entraide nationale et 6% pour la municipalité. Ensuite, un prélèvement fiscal est appliqué au prorata du chiffre d’affaires. Surprise, ceux qui déclarent de petits chiffres d’affaires (entre 5 et 60 millions de dirhams) payent une taxe élevée. Au-delà, le taux est plus clément. De telles dispositions sont faites, selon un cadre du ministère du Tourisme, pour permettre aux vrais casinos de prospérer et ne pas encourager des aventuriers.
Les casinos restent une affaire liée au développement du tourisme. Un facteur d’animation non négligeable. D’ailleurs, selon les informations, Kerzner International, chef de fil du consortium mis en place pour l’aménagement de la station Mazagan aurait exigé une exclusivité sur 130 kilomètres dans le prolongement de l’axe Casablanca-Rabat.
Les affaires marchent visiblement. L’établissement qui dispose déjà de l’une des plus grandes salles de jeux de la place, et d’un restaurant (le Cocteau) de bonne tenue, a entrepris ses extensions. La nouveauté reste l’introduction récente des tables de Pocker Vegas, uniques sur la place, selon les gestionnaires. Ici, la mise est alignée à 2 000 dirhams, la même que celle du casino du Dorint Atlantic Palace, tenu par un professionnel roumain. Habitué aux gros comptes, le Dorint mise sur la qualité du service. Le jeu étant un vice pour la vie, le client joueur est traité comme un roi avec la restauration, les cigarettes gratuites et souvent quelques largesses. Les habitués peuvent bénéficier d’emprunts. Et le casino du Dorint Atlantic Palace et celui de Movenpick à Tanger appartiennent à une même société, gérée par un Juif et un Turc. Ce qui explique les similitudes dans les offres de ces deux établissements distants de 600 kilomètres. Tiré par son casino, l’hôtel Movenpick Malabata réserve un traitement gratifiant à ses joueurs qui, quand ils sont de passage, ont la chambre gratuite et 1 000 dirhams de jetons. Le client ordinaire paye sa chambre, et bénéficie aussi de 1000 dirhams de jetons. Là aussi comme au Dorint, le client est traité avec tous les égards, ce qui fait dire au président de l’Association de l’industrie hôtelière de Tanger, que «grâce au casino du Movenpick, la Jet Set méditerranéenne est en train de redécouvrir la ville ». C’est l’un des rares lieux d’animation du détroit, et auquel le petit casino de Sebta ne fait pas ombrage.
Point commun entre tous ces différents établissements, la présence de croupiers roumains, russes et même de l’Île Maurice. Personnages centraux dans les casinos, les croupières en général blondes et les croupiers perçoivent des salaires qui feraient rêver quelques cadres de nos banques. Au Saadi, les Roumains gagneraient entre 6 500 et 8000 dirhams, contre 5 000 dirhams pour les Marocains. Le personnel se rattrape aussi sur 40% de pourboires. Le reste de ce montant sert à payer les alcools et la bouffe servis gratuitement. Au Casino Shems, les croupiers n’ont pas droit au pourboire mais gagnent entre 11 000 et 15 000 dirhams. A la Mamounia, les salaires ne seraient pas loin des 20000 dirhams. Le casino de la Mamounia à Marrakech reste de loin le plus prestigieux. Ayant attiré des célébrités du monde entier, comme Omar Sharif (un habitué) l’établissement, géré par un Belge qui tient aussi des affaires à Monaco, a réussi à garder son standing. Pas beaucoup de personnes, la plupart des joueurs prennent des tables privées, ce qui leur donne la possibilité de démarrer la mise à 5000 dirhams. Quant au casino de l’hôtel Saadi, après avoir passé par une gérance italienne, une éphémère phase de transformation en salle de spectacle, le voilà qui se reprend petit à petit avec, il faut le souligner, de petites mises. La fréquentation de l’établissement reste cosmopolite.
Comment obtenir une licence pour casino ?
En 1948, premier texte sur les casinos au Maroc. La famille Bouchet (Casino Saadi à Marrakech), se voit accorder une exclusivité de l’exploitation pour une période de 75 ans. Mais, c’est en novembre 1952, que la famille Bouchet célébrera son casino. Quatre ans plus tard, à l’indépendance, l’exclusivité est levée. Précurseur des casinos, la famille Bouchet investit Mohammedia.
Aujourd’hui, aucun texte n’est passé par le Parlement. Par conséquent, les casinos sont toujours gérés par circulaire dont la limite territoriale ne dépasse pas le Marrakech, Tanger, Ouarzazate, Mohammédia et Agadir. L’octroi de la licence est du ressort de la primature qui, pour se faire, consulte les ministères du Tourisme, des Finances et de l’Intérieur.
Pour bénéficier de l’autorisation, l’intéressé passe par un véritable tamis. Après l’autorisation de principe de la Primature, le promoteur doit obeir aux conditions qui lui sont fixées. Les conventions entre l’investisseur et l’Etat devront faire l’objet d’un decret, signé par les ministères ci-haut cités. Un dernier arrêté signé du ministère des Finances et de celui de l’Intérieur vient enfin fixer la date de l’ouverture.
(source : aujourdhui.ma/Adam Wade)